Ghosn règle ses comptes avec l'Alliance et le gouvernement

"Franchement, il n'y a plus d'Alliance" Renault-Nissan, a lancé mercredi l'ancien patron du groupe automobile franco-japonais, Carlos Ghosn, rouvrant d'anciennes plaies et critiquant vertement la gestion de ses successeurs et le rôle du gouvernement français.

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En 2017, l'Alliance, constituée des constructeurs Renault, Nissan et Mitsubishi, "était le premier groupe automobile mondial". L'Alliance était "en croissance, rentable, avec une vision claire de l'avenir et une stratégie", a déclaré l'ancien dirigeant, laissant entendre que son arrestation au Japon avait entraîné la chute du groupe.

"Ils disent qu'ils ont voulu tourner la page Ghosn, eh bien ils ont réussi". Aujourd'hui "l'alliance des trois compagnies ne fonctionne plus, la croissance a disparu, les profits sont en chute. J'ai du mal à trouver une quelconque direction stratégique", a-t-il condamné, ajoutant qu'il n'y avait "plus d'innovation technologique".

Il a notamment étrillé la gestion de Hiroto Saikawa, son successeur à la direction générale de Nissan, contraint de quitter le groupe à l'automne, soulignant lui avoir cédé "une entreprise rentable, forte de 20 milliards de dollars de cash".

Il s'en est pris aussi, sans le citer, à Jean-Dominique Senard, son successeur à la tête de l'Alliance et du conseil d'administration de Renault. "Franchement, il n'y a plus d'Alliance. Il semble que toutes les décisions soient prises par consensus. J'ai géré ces entités pendant 17 ans, je peux vous dire que le consensus ne fonctionne pas, il faut forcer les gens pour avoir des synergies".

Au total, la valeur boursière de Nissan a fondu de 11 milliards d'euros depuis son arrestation, et celle de Renault d'environ 6 milliards. Leur performance opérationnelle s'est dégradée l'an dernier.

En octobre, Renault avait revu en baisse ses objectifs financiers, tablant pour 2019 sur une baisse de son chiffre d'affaires pouvant atteindre 4% et un recul de sa rentabilité opérationnelle. Nissan avait publié en novembre un bénéfice net en chute de 55% au deuxième trimestre à environ 490 millions d'euros et également revu en baisse ses prévisions pour l'exercice.

Nissan n'a pas immédiatement réagi aux critiques de Carlos Ghosn. Contacté par l'AFP, Renault n'a pas souhaité faire de commentaire.

 

"Des gens pas compétents"

L'ancien patron a également dénoncé le rôle du gouvernement français dans la gestion de l'Alliance. Il a notamment rappelé un épisode de 2015, quand l'Etat français avait accru sa participation dans Renault pour s'assurer l'octroi de droits de vote double, en tant qu'actionnaire de long terme, tout en refusant d'accorder des droits de vote à Nissan.

Cette action, menée alors qu'Emmanuel Macron était ministre de l'Economie, avait suscité la colère de Nissan qui détient 15% de Renault mais aucun droit de vote.

Renault contrôle 43% de Nissan qui possède par ailleurs 34% de son compatriote Mitsubishi, mais l'ensemble a toujours été présenté comme une alliance entre égaux.

"Cela a laissé une grande amertume au sein du management de Nissan et du gouvernement japonais (...) C'est là que les problèmes ont commencé (...) Il n'y avait plus de confiance et certains de nos amis japonais ont estimé que le seul moyen de se débarrasser de l'influence de Renault sur Nissan était de se débarrasser de moi", a assuré M. Ghosn. "Malheureusement, ils ont eu raison. Nous voyons aujourd'hui que Renault a très peu d'influence sur ce qui se passe chez Nissan".

Sans jamais le citer, l'homme d'affaires a par ailleurs semblé reprocher à l'actuel ministre de l'Economie Bruno Le Maire d'avoir fait capoter le projet de mariage avec Fiat, finalement tombé dans les bras de son grand rival français PSA.

Renault "a manqué l'immanquable en ne faisant pas la fusion avec Fiat Chrysler" au printemps 2019, a-t-il estimé, assurant qu'il était tout proche d'aboutir sur ce projet avant son arrestation en novembre 2018. Soutenue et annoncée publiquement par Jean-Dominique Senard, la fusion avait échoué alors que M. Le Maire réclamait des garanties supplémentaires.

"Cela fait peur quand vous avez des gens (...) pas compétents, qui ne sont pas dans Renault, et qui commencent à vouloir faire la stratégie de l'entreprise", a lancé M. Ghosn. Selon lui, l'Etat français a commis une erreur en réclamant publiquement, lors de sa prolongation à la tête de Renault début 2019, qu'il rende l'Alliance "irréversible", un terme interprété au Japon comme synonyme de fusion, une perspective totalement écartée par Nissan et, à en croire Carlos Ghosn durant cette conférence de presse, par lui-même.

Le ministère français de l'Economie n'a pas souhaité faire de commentaire.

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