Deux jours après l'annonce par le géant indien d'une possible vente de ses activités britanniques, l'inquiétude pour les 15.000 salariés concernés et pour les 50.000 de la filière grandissait dans le pays, tout comme l'amertume, voire la colère, à l'égard d'un pouvoir accusé de double jeu.
Tata Steel a mis en avant la concurrence insoutenable que représente l'importation d'acier chinois peu cher pour expliquer l'absence de rentabilité de l'activité au Royaume-Uni, un sujet sur lequel Londres assure s'être battu, y compris dans les cénacles bruxellois chargés d'établir les droits de douane à l'entrée de l'Union européenne (UE).
Mais les affirmations du gouvernement étaient mises en cause vendredi, le lobby européen de l'Acier, Eurofer, affirmant notamment que les représentants britanniques s'étaient opposés à de nouvelles mesures de défense de l'acier européen.
"Pourquoi? Ils font valoir la protection des utilisateurs d'acier, par exemple ils disent que l'industrie automobile, la construction, la machinerie, bénéficient d'un acier à bas prix. C'est le cas, mais en même temps, cela sacrifie notre industrie au profit d'un autre secteur", a déploré le porte-parole d'Eurofer, Charles de Lusignan.
Eurofer met en exergue le fait que les Etats-Unis imposent des droits de douane provisoires de plus de 265% sur certaines catégories d'acier chinois, versé en surabondance sur les marchés mondiaux, contre 13 à 16% pour l'UE sur les mêmes produits.
Or, a affirmé M. de Lusignan à l'AFP, le Royaume-Uni a cherché ces derniers mois à se ménager les bonnes grâces de la Chine, déroulant le tapis rouge au président Xi Jinping venu en octobre, lors d'une visite d'État marquée par une série de contrats, dont une participation chinoise à la construction d'une centrale nucléaire dernier cri en Angleterre.
Les Britanniques "pensent que s'ils bloquent le changement et la modernisation des instruments de défense du commerce, cela leur donnera les faveurs de la Chine", d'après Eurofer.
Une source proche des négociations européennes a confirmé à l'AFP que Londres avait entravé les initiatives pour protéger l'acier européen.
Ces accusations, reprises par les médias au Royaume-Uni, ont d'autant plus d'écho que la sidérurgie garde une place à part dans les coeurs britanniques, depuis la révolution industrielle qui assit la prospérité du pays et dont elle fut un des fers de lance.
"Jamais dans nos pires cauchemars nous n'aurions pensé que le Parti Conservateur autoriserait le Parti Communiste chinois à décider de l'avenir d'industries vitales pour le Royaume-Uni comme l'acier et l'énergie", se lamentait Tim Roache, secrétaire général du syndicat GMB.
"Nous sommes de votre côté"
Le Premier ministre David Cameron et son ministre des Finances, George Osborne, se sont aussi fait étriller par leur ex-allié Nick Clegg, centriste libéral-démocrate et Premier ministre adjoint de M. Cameron de 2010 à 2015.
"George Osborne a mis sa relation spéciale avec la Chine au-dessus des intérêts du Royaume-Uni", a-t-il accusé, reprochant au gouvernement d'avoir "manqué de nombreuses occasions d'aider l'industrie sidérurgique, par exemple en prenant des mesures pour empêcher l'acier chinois à prix cassé d'inonder le marché britannique".
En déplacement à Manchester (nord de l'Angleterre), M. Osborne a répété que son gouvernement faisait "tout ce qui était réalisable et possible" pour protéger l'industrie sidérurgique. Il écarte certes toute renationalisation d'un secteur privatisé sous la houlette de Margaret Thatcher en 1988, mais promet de trouver un repreneur aux activités de Tata.
Son collègue Sajid Javid, le ministre des Entreprises, s'est rendu pour sa part à Port Talbot, le coeur gallois de la sidérurgie britannique, où le groupe indien emploie 4.000 personnes, écourtant un voyage en Australie.
Après des réunions qu'il a qualifiées de "constructives" avec les acteurs locaux, il a été interpellé par des employés réunis devant l'usine Tata qui lui ont demandé quel avenir restait à la sidérurgie. "Cette industrie est absolument vitale pour l'avenir du secteur industriel britannique", a répondu M. Javid, ajoutant: "Nous sommes de votre côté".
Il s'est dit confiant dans la capacité de la direction de Tata Steel, qualifiée de "responsable", et des autorités à trouver un repreneur.
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