Hongrie: la fronde des ouvriers de Hankook et des autres

Les ouvriers du site Hankook de Racalmas, en Hongrie, ont le sourire: après dix jours de grève, ils ont obtenu une hausse inédite de salaire de 18% dans ce pays où les grands constructeurs et équipementiers doivent aussi lâcher du lest faute de main d’œuvre.

Fleuron de l'industrie hongroise, le secteur automobile représente près de 20% de la richesse nationale après que de nombreux constructeurs et équipementiers allemands et asiatiques y ont délocalisé leur production, attirés par une fiscalité avantageuse et des salaires bas.

 

Audi, Mercedes, Bosch, Continental, Suzuki...

Mais, alors que le niveau de vie des pays d'Europe centrale et orientale progresse régulièrement, Gabor Szabo et ses collègues n'ont plus voulu se contenter de leurs 500 euros mensuels, un revenu à peine supérieur au minimum légal: "Nous voulons un salaire décent, et du respect".

Embauché à 19 ans par le fabriquant sud-coréen de pneus Hankook à Racalmas, dans le centre du pays, ce représentant syndical âgé de 31 ans a été un des fers de lance de la grève "très dure" menée le mois dernier sur ce site de 3.000 salariés.

Dure, et couronnée de succès: après dix jours de blocage, les syndicats ont obtenu une augmentation de 18%.

Le cas de Racalmas est loin d'être isolé. Dès janvier, les ouvriers du site géant d'Audi à Györ (ouest), comptant 13.000 salariés, avaient donné le ton en décrochant une hausse similaire après que leur grève eut compromis l'approvisionnement du siège bavarois du constructeur.

Et leurs confrères de Mercedes, Bosch, Continental ou encore Suzuki ont également obtenu gain de cause sans même avoir à mettre leurs menaces de grève à exécution. Du jamais vu depuis la fin du communisme en 1989.

 

Génération 'plus politisée'

Avec un taux de chômage à son plus bas historique (3,6% au quatrième trimestre), la Hongrie souffre d'un forte pénurie de main d'oeuvre, encore aggravée par l'exode de centaines de milliers de travailleurs partis chercher de meilleurs salaires dans l'ouest de l'Europe.

Et l'hostilité affichée par le Premier ministre national-conservateur Viktor Orban envers l'immigration ne contribue pas à apaiser les tensions sur le marché du travail. Au risque de voir s'écorner l'image de paradis pour industriels qu'il s'est efforcé de construire.

"L'environnement est plus difficile pour les employeurs en ce moment", reconnaît auprès de l'AFP Wolfgang Stein, directeur du site hongrois de l'équipementier allemand Bosch. Près de 90% des industriels en Hongrie ont indiqué avoir éprouvé des difficultés de recrutement l'an dernier, selon une étude récente.

Gabor Szabo confirme. "On savait qu'ils ne nous licencieraient pas vu qu'il n'y a personne d'autre pour faire le travail", sourit-il.

Paradoxalement, c'est un renforcement de la législation en faveur des employeurs qui a déclenché ce mouvement national cet hiver.

Passant outre un front du refus formé par l'opposition de gauche, libérale et d'extrême droite, M. Orban a fait adopter en décembre une loi permettant à un employeur de demander à ses salariés jusqu'à 400 heures supplémentaires par an, soit l'équivalent de deux mois de travail. Payables trois ans plus tard.

Qualifié par ses détracteurs de "droit à l'esclavage", ce texte a jeté des milliers de Hongrois dans les rues et donné un nouveau souffle à un mouvement syndical jusqu'alors affaibli et discrédité.

"Les législateurs nous ont ignorés, alors nous avons décidé de ne plus faire de compromis", résume Laszlo Kordas, chef de la Fédération hongroise des syndicats (MASZSZ). "Les gens ont réalisé qu'on avait besoin des syndicats", confirme Tamas Szekely, du syndicat VDSZ, en pointe à Racalmas.

Si le taux de syndicalisation reste un des plus bas d'Europe (8% des salariés), M. Kordas, 50 ans, assure que le nombre d'adhésions est reparti à la hausse ces derniers mois, grâce à l'émergence d'une génération "plus combative et plus politisée" après neuf années de pouvoir sans partage de M. Orban.

"Avant, on considérait que les dirigeants syndicaux n'étaient bons qu'à proposer des cours d'aérobic", acquiesce l'analyste Zoltan Pogatsa. "Mais aujourd'hui de nouveaux leaders ont remplacé l'ancienne garde corrompue et les sections ont tendance à se fédérer."

Le mouvement peine toutefois encore à prendre dans le tertiaire, un secteur où les syndicats sont traditionnellement moins structurés. Mais la grogne commence à monter chez les distributeurs Tesco et Spar et même dans la police, relève M. Kordas.

© 2019AFP