Fuite de Carlos Ghosn: "extrêmement bien montée" (+vidéo)

L'exfiltration de Carlos Ghosn du Japon est une opération "extrêmement bien montée" et il est "très peu probable" qu'il l'ait réalisée "seul" comme il l'affirme, explique à l'AFP Christophe Naudin, directeur de l'entreprise de formation pour pilotes Visiom Aviation. Lui même avait organisé l'exfiltration de deux pilotes français de République dominicaine en 2015.

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Question : Carlos Ghosn dit avoir organisé seul sa fuite du Japon. Est-ce crédible ?

Réponse : Il est très très peu probable que M. Ghosn a organisé cela tout seul. Une opération de ce type, c'est beaucoup d'heures de préparation, des gens spécialisés qui répètent, qui font même un coup à blanc s'ils ont le budget.

Il y a des personnes qui savent faire ce type d'opération, courantes pour les services de sécurité, et qui après se reconvertissent dans le privé. M. Ghosn, dans ses anciennes fonctions, disposait d'un service d'anciens personnels des différentes structures de l'Etat, tout à fait capables de monter ce genre d'opération (Renault disposait d'une direction de la protection du groupe, DPG. En janvier 2011, trois de ses cadres avaient été licenciés pour espionnage industriel avant d'être innocentés. L'affaire avait mis en lumière les dysfonctionnements de la DPG. Le scandale avait entraîné la démission du numéro 2 de Renault, Patrick Pélata, ndlr).

Bref, pour faire cela, il faut des sous, du temps et des idées. C'est une opération extrêmement bien montée, pour laquelle je pense qu'il a été aidé.

 

Q: Quels sont les points clés dans ce genre d'opération ?

R: Une des choses les plus compliquées c'est de l'exfiltrer de chez lui. Il faut de la logistique pour ralier l'aéroport de Kansai d'Osaka. Il y a plusieurs heures de route en voiture depuis Tokyo. Il l'a forcément fait en voiture car prendre le train est trop risqué, il aurait pu se faire reconnaître.

Après, il y a la partie aérienne. Il faut que le vol soit organisé, payé, accepté, tout cela a été monté bien en amont. Il devait y avoir une raison officielle de faire ce vol, évidemment ce n'est pas la raison réelle.

Le vol se fait avec un jet d'affaires, ce n'est pas un jet privé, c'est important, car cela signifie que l'équipage ne sait pas qui il transporte. Les pilotes ont la liste, bien sûr, mais dans la réalité, ils ne la regardent pas.

Il faut aussi un plan de vol étudié pour survoler des pays qui ne sont pas des amis du Japon. Ainsi si l'appareil a un problème technique et qu'il doit se poser en urgence, le risque d'extradition est faible. Dans ce cas: Corée du Sud, Chine, Russie, puis après on entre dans des zones où tout se négocie.

 

Q: Mais il y a bien un contrôle des passeports avant de quitter le Japon ?

R: Le point crucial, c'est le passage de la frontière. Si c'était moi qui avait monté l'opération, voilà comment j'aurais sans doute fait les choses: Carlos Ghosn a un nom latin, et plusieurs passeports. J'aurais fait venir au Japon plusieurs jours avant un homme ressemblant à M. Ghosn, avec un de ses passeports (il s'agirait d'un passeport qui n'a donc jamais été saisi par les Japonais, ndlr), qui est donc tamponné avec une date d'entrée. Le passeport est ensuite remis à l'équipe. L'homme trouvera un moyen ultérieur de quitter le Japon, déclarant par exemple avoir perdu ses papiers, ou autre chose.

Quand on voyage en jet d'affaires, les gens attendent dans un salon. Une personne en charge du vol, sous traitant pour la compagnie aérienne (en l'espèce le transporteur turc MNG Jet, ndlr), prend les passeports et les présente à la police aux frontières avec la "GenDec". Cette "General Declaration" comprend la liste de l'équipage et, agrafée derrière, le "manifest", c'est-à-dire la liste des passagers.

Le passeport présenté a un autre numéro que ceux enregistrés par les autorités japonaises (pour les passeports saisis, ndlr). Le policier vérifie le numéro du passeport, le tampon d'entrée, mais l'alphabet latin et la phonétique du nom sont difficiles à vérifier. Il y a des logiciels d'aides, mais la translittération en katakana (les caractères utilisés en japonais pour écrire les noms étrangers, ndlr) reste hasardeuse. Je suis persuadé que le policier a été trompé.

Ensuite, arrivé à Istanbul, il est un simple passager en transit, il passe normalement, il change d'avion. Il n'y a pas vraiment de clandestinité.

 

Ce que l'on sait de la fuite de Carlos Ghosn

Perquisitions à Tokyo, arrestations en Turquie, demande d'arrestation d'Interpol, conférence de presse annoncée à Beyrouth: une semaine après la révélation de sa rocambolesque fuite au Liban, voici ce que l'on sait de la situation de Carlos Ghosn.

  • Une fuite "destination Beyrouth"
    Les circonstances exactes de sa fuite du Japon où il est accusé de malversations financières, ne sont pas encore élucidées mais elles se dessinent au fil des jours.
    Il est soupçonné de s'être envolé le 29 décembre de l'aéroport international du Kansai près d'Osaka (ouest du Japon) à bord d'un jet privé, puis d'en avoir pris un autre à Istanbul pour rejoindre Beyrouth le 30 décembre.
    Les dernières images de vidéosurveillance à Tokyo ont révélé qu'il avait quitté seul le 29 décembre sa résidence japonaise, où il était assigné dans l'attente de son procès.
    Le Wall Street Journal a publié ce week-end une photo d'un caisson servant à transporter du matériel de musique dans lequel, selon le quotidien américain, le patron déchu se serait caché pour quitter le Japon.
    Jeudi, dans une déclaration écrite, Carlos Ghosn a assuré avoir organisé "seul" son départ, sans la participation de sa famille et notamment de son épouse.

 

  • Des enquêtes sont ouvertes au Japon et en Turquie
    Selon Ankara, qui a arrêté cinq personnes après sept interpellations, deux étrangers l'ont assisté dans son transit tôt le 30 décembre par l'aéroport Atatürk d'Istanbul, utilisé par des avions cargo et pour des vols privés.
    La compagnie turque MNG Jet, qui a déposé plainte, a précisé que deux jets privés avaient été loués en décembre à deux clients. "Ces deux locations n'avaient en apparence aucun lien entre elles. Le nom de M. Ghosn n'est apparu dans les documents d'aucun des deux vols", selon la compagnie.
    Selon le Wall Street Journal, M. Ghosn a été accompagné lors de son vol entre Osaka et Istanbul par un ancien Béret vert des forces spéciales américaines, désormais actif dans la sécurité privée, Michael Taylor. L'autre homme est George Antoine Zayek, qui travaille lui aussi dans la sécurité, selon le quotidien.

 

  • Quatre passeports et beaucoup d'inconnues
    Les autorités japonaises n'ont pas de données informatiques indiquant que Carlos Ghosn, facilement reconnaissable, se serait présenté sous sa réelle identité aux contrôles aux frontières du Japon avant son départ, dans aucun des aéroports du pays.
    Il est soupçonné d'avoir employé un moyen illégal de sortie du territoire, soit sous une fausse identité ou en échappant aux contrôles, selon la chaîne publique japonaise NHK.
    Ses trois passeports (français, libanais, brésilien) étaient conservés par ses avocats japonais, pour limiter les risques de fuite. Mais, selon une source proche du dossier, une autorisation exceptionnelle du tribunal lui permettait de conserver un deuxième passeport français sur lui dans un étui fermé par un code secret, connu de ses seuls avocats.
    Il est finalement entré "légalement" au Liban, avec un passeport français et un carte d'identité libanaise, selon une source à la présidence.
    Resté silencieux pendant près d'une semaine, le gouvernement japonais a réagi pour la première fois dimanche estimant "injustifiable" la fuite de Carlos Ghosn alors qu'il était en liberté sous caution au Japon dans l'attente de son procès. "Il est extrêmement regrettable que nous soyons arrivés à cette situation" a déploré la ministre de la Justice Masako Mori.

 

  • Demande d'extradition
    Le Liban a reçu une demande d'arrestation d'Interpol pour le magnat déchu de l'automobile. M. Ghosn pourrait être entendu dès la semaine prochaine par le parquet général libanais, selon une source judiciaire.
    Côté libanais, le message est clair. Selon la Sûreté générale, rien n'impose "l'adoption de procédures à l'encontre de M. Ghosn" ni ne l'expose "à des poursuites judiciaires".
    Le ministère de la Justice a rappelé l'absence "d'accord d'extradition entre le Liban et le Japon".
    Le Liban, comme la France d'ailleurs, n'extrade pas ses ressortissants nationaux et il est donc très improbable de voir Carlos Ghosn retourner au Japon.
    Il y fait l'objet de quatre inculpations, deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (qui est aussi poursuivi sur ce volet), et deux autres pour abus de confiance aggravé.
    Une fois la stupeur de ce départ surprise passée, la question de la tenue de son procès devrait rapidement se poser.
    Carlos Ghosn est par ailleurs la cible d'autres enquêtes en France sur le financement de son mariage dans le château de Versailles en 2016 et sur des "abus de bien sociaux" ainsi que des faits de "corruption".
    Sa fuite ne devrait cependant pas avoir de conséquences sur ces enquêtes.
    Des avocats au Liban ont également demandé au parquet général d'entamer des poursuites contre Carlos Ghosn pour un déplacement en Israël en 2008, pays voisin où les ressortissants libanais n'ont pas le droit de se rendre.

 

  • Une conférence de presse très attendue
    Actuellement à Beyrouth, avec sa femme, dans un endroit inconnu, Carlos Ghosn prépare sa riposte.
    Il compte parler "librement" aux médias. Une conférence de presse qui doit avoir lieu mercredi dans la capitale libanaise est très attendue et devrait permettre de connaître les intentions futures de l'ex-patron de Renault et Nissan.

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