Faurecia: du chanvre pour les planches de bord

Au bout d'un chemin de Franche-Comté, des épis de blé dodelinent au rythme de la brise d'été. Dans la luxuriante parcelle voisine, ce sont de futures planches de bord d'automobiles qui sortent de terre.

Les ingénieurs agronomes n'ont pas mis au point de plantes produisant des pièces de voiture, mais l'alliance d'agriculteurs et d'un équipementier automobile a débouché sur un plastique renforcé aux fibres de chanvre, pour lequel ses promoteurs nourrissent de grandes ambitions.

D'un côté, la coopérative Interval d'Arc-lès-Gray (Haute-Saône), entre Dijon et Vesoul, souhaitait diversifier sa production. De l'autre, la filière automobile recherchait de nouvelles pistes d'allègement.

Ces deux univers se sont retrouvés autour du chanvre, culture qui avait quasi disparu en France face à la concurrence des matériaux synthétiques pour élaborer cordages, voiles et textiles.

Pourtant, "comme dans le cochon, tout est bon dans le chanvre", s'exclame Philippe Guichard, directeur d'Interval, qui compte 5.300 adhérents répartis dans les départements de Haute-Saône, du Jura et le Territoire de Belfort.

Les graines de cette plante servent à l'alimentation et aux cosmétiques; le centre de la tige est utilisé dans la litière des chevaux, le jardinage et le bâtiment; mais ce qui intéresse l'équipementier automobile Faurecia, c'est l'écorce.

Ces fibres végétales se substituent aux fibres de verre ou au talc utilisées pour renforcer certaines pièces: planches de bord, panneaux de portes ou consoles centrales, sous réserve d'être recouvertes d'un garnissage qui en dissimule l'apparence brute.

Faurecia et Interval ont lancé en 2014 une coentreprise, "Automotive Performance Materials" (APM), qui a élaboré, fabrique et commercialise une matière contenant 20% de fibres de chanvre, après un complexe processus de transformation. Vendu en granulés, ce produit exclusif baptisé "NAFILean" est ensuite chauffé pour passer dans des presses à injection, tout comme une matière 100% synthétique.

 

Descente des 'stups'

Ce matériau est recyclable, contrairement aux plastiques armés de fibre de verre, mais pas biodégradable. Il résiste à la chaleur, aux ultra-violets, à l'humidité aussi bien que les synthétiques. Surtout, il est plus léger. APM affirme pouvoir faire passer de 25 à 20 kg le poids total des pièces de cette matière montées dans une automobile, à coûts identiques.

Or, sur fond de normes d'émissions de CO2 de plus en plus strictes, les constructeurs sont engagés dans une course à la réduction du poids et chaque kilogramme compte, notamment via "des pièces en plastique remplacées par des matières moins denses", remarque Amaury Cornilleau, chargé de missions techniques et commerciales au Groupement Plasturgie Automobile.

"Les fibres naturelles ont une part à jouer" dans cette cure d'amaigrissement, avec un bémol selon lui: les plastiques en contenant doivent être élaborés à proximité des usines, et il faut donc trouver des fibres spécifiques selon les régions du monde, en faisant attention à éviter la concurrence avec des cultures vivrières.

Produire du chanvre en Franche-Comté, berceau de Peugeot, fait sens alors que Faurecia dépend de la même maison mère, le groupe PSA. Ce dernier, qui vise un taux de 20% de matériaux "verts" dans ses véhicules européens, recourt déjà au NAFILean pour les panneaux de porte des 308. Alfa Romeo a inauguré le premier tableau de bord au chanvre pour sa berline sportive Giulia, avant bientôt Renault pour la Mégane.

"L'objectif serait qu'on puisse avoir 20% du marché de Faurecia dans les matières structurelles non visibles", espère Raphaël Berthoud, directeur général d'APM, qui se félicite d'avoir reçu l'agrément des groupes Daimler, Volvo et Jaguar-Land Rover pour son matériau. L'objectif à long terme est de produire un plastique à 100% d'origine végétale.

Du côté des agriculteurs, "on est très fiers" de contribuer à la filière automobile, "un débouché auquel on ne pensait pas", assure M. Guichard, d'autant plus que le chanvre, qui pousse vite et sans pesticides, est rentable: 2.000 euros de produit brut à l'hectare contre 700 environ pour le blé.

Seul inconvénient, le chanvre textile, sans propriétés psychotropes, ressemble comme deux gouttes d'eau au cannabis, ce qui a valu à M. Guichard une descente de la "brigade des stups" de Besançon et des visites de touristes hollandais en quête de sensations, confie-t-il en souriant.

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