A l'issue d'un conseil d'administration tenu à l'aube, le groupe a annoncé avoir enclenché la procédure de redressement judiciaire, "à la fois auprès d'un tribunal de Tokyo et aux Etats-Unis".
Outre sa filiale américaine, basée dans l'Etat du Delaware, qui s'est placée sous la protection du chapitre 11 sur les faillites, ses différentes unités, situées notamment en Chine et au Mexique, sont concernées.
L'ancien numéro deux mondial des airbags a précisé avoir conclu un accord pour transférer ses activités à Key Safety Systems (KSS), un équipementier américain contrôlé par le chinois Ningbo Joyson Electronic, pour un montant de 175 milliards de yens (1,4 milliard d'euros).
"KSS va acquérir l'essentiel de Takata, à l'exception de certains actifs et opérations liés aux coussins de sécurité" mis en cause dans le scandale, a précisé la firme américaine, qui espère bâtir "un fournisseur de premier plan avec environ 60.000 salariés dans 23 pays".
Pluie de plaintes et rappels
Le PDG de Takata, qui a longtemps repoussé le scénario de la faillite, s'est félicité du choix de KSS, "un repreneur idéal". Shigehisa Takada, héritier de la famille fondatrice, a promis, lors d'une conférence assortie de maintes excuses comme l'exige la tradition japonaise, de démissionner "au moment approprié" une fois le passage de relais effectué.
Malgré cette affaire, "la force d'une main-d'oeuvre compétente, de la présence géographique (de Takata) et ses exceptionnels volants, ceintures et autres produits de sécurité n'a pas diminué", a commenté de son côté Jason Luo, PDG de KSS, cité dans un communiqué. La transaction doit être bouclée "au premier trimestre 2018".
Quant au nom Takata, né au début des années 1930, il est vraisemblablement amené à disparaître une fois l'affaire soldée, ce qui pourrait prendre du temps.
Takata avait fait un grand pas en concluant en début d'année un règlement avec les autorités américaines: accusé d'avoir dissimulé pendant des années le problème, il a plaidé coupable et s'est engagé à verser une amende d'un milliard de dollars afin d'échapper à un procès pénal.
Mais de nombreuses plaintes civiles restent en cours, en particulier aux Etats-Unis, pays le plus touché, et des millions de véhicules doivent encore être rapportés au garage sur les 100 millions d'airbags rappelés au total dans le monde, du jamais vu dans l'histoire de l'industrie automobile.
"Le schéma retenu nous permettra de garantir un approvisionnement régulier", a assuré M. Takada.
"Nous espérons que Takata fera des efforts pour éviter l'interruption de la fourniture des pièces de remplacement, ce qui causerait davantage de confusion", a insisté le ministre de l'Industrie Hiroshige Seko, qualifiant la faillite d'"inévitable".
Des constructeurs piégés
Les racines du scandale remontent au début des années 2000 quand Takata a changé la composition chimique de ses gonfleurs pour faire des économies. Au fil des ans, les explosions intempestives se sont multipliées mais la direction a tardé à réagir et le problème s'est amplifié.
Selon les estimations d'analystes, non confirmées officiellement, la compagnie laisse une ardoise de plus de 1.000 milliards de yens (8 milliards d'euros), ce qui marque la plus importante faillite d'un industriel dans le Japon d'après-guerre.
Honda, premier client de Takata, a d'ores et déjà prévenu qu'il avait peu d'espoir de "récupérer" les importantes sommes dépensées pour remplacer les airbags, tout en assurant que l'impact sur ses résultats financiers de l'année en cours serait "limité" étant donné que de l'argent a déjà été mis de côté. Toyota et Nissan ont émis des déclarations similaires, le premier chiffrant les coûts liés à l'affaire, dans son cas, à 570 milliards de yens.
Des constructeurs étrangers sont également affectés, parmi lesquels BMW, Ford et General Motors.
A la Bourse de Tokyo, les transactions sur le titre Takata ont été suspendues lundi, avant sa radiation définitive de la cote le 27 juillet.
Depuis la révélation publique de l'affaire début 2014, l'action a fondu de 95%, une dégringolade qui laisse augurer d'une assemblée générale des actionnaires houleuse mardi.
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QUE FAUT-IL SAVOIR SUR LE GROUPE TAKATA?
Takata a été fondé en 1933 dans la préfecture de Shiga (ouest) par Takezo Takada, grand-père de l'actuel PDG Shigehisa Takada. Il a débuté dans l'industrie textile et a conçu des bouées de sauvetage avant de se tourner vers l'automobile dans les années 1950.
S'inspirant des Etats-Unis, il développe alors des ceintures de sécurité en utilisant la technologie des parachutes. Il sera le premier au Japon à commercialiser des ceintures à deux points en 1960.
Dans les années 1970, il propose des sièges auto pour enfants, puis en 1987 c'est au tour des airbags qu'il produit initialement pour Honda Motor avant d'étendre sa toile à d'autres constructeurs.
Devenu un des premiers groupes mondiaux sur le marché des coussins et ceintures de sécurité dont il détenait 20% avant le scandale, Takata compte aujourd'hui quelque 46.000 employés et 56 usines dans 20 pays pour un chiffre d'affaires de 663 milliards de yens en 2016/17 (5,3 milliards d'euros au cours actuel), dont près de 90% réalisés à l'étranger.
Il compte 571 fournisseurs au Japon pour un effectif de 60.000 salariés, selon la société d'analyse Teikoku Databank.
QUEL EST LE PROBLEME AVEC SES AIRBAGS?
Dans les années 2000, Takata commence à utiliser dans ses airbags un nouvel agent chimique, le nitrate d'ammonium. Mais, sans agent desséchant, il est incapable d'absorber l'humidité, ce qui peut conduire au fil du temps et dans des conditions climatiques extrêmes à sa dégradation et à de dangereuses explosions, avec projection de fragments sur le conducteur ou le passager. Une conception inadéquate est aussi en cause.
Takata est accusé d'avoir longtemps tenté de dissimuler le problème, plaçant les bénéfices devant la sécurité des automobilistes.
Honda, premier client de l'équipementier, lance un rappel dès 2008, mais ce n'est qu'en 2014 que l'affaire éclate au grand jour quand l'agence américaine de la sécurité routière (NHTSA) s'empare du dossier après une série d'incidents.
C'est à ce moment-là que sont révélés au grand jour des décès remontant parfois à plusieurs années. Pour l'heure, au moins 16 morts sont attribués à l'affaire, dont 11 aux Etats-Unis, ainsi que plus d'une centaine de cas de blessures.
COMMENT TAKATA S'EST-IL RETROUVE EN FAILLITE?
Hormis des excuses à répétition, Takata s'est montré très avare d'explications, rejetant initialement toute responsabilité, une gestion de la crise qui a contribué à amplifier la campagne de rappels et à ternir davantage la réputation de la firme.
Au total, quelque 100 millions d'airbags sont concernés dans le monde, dont 70 millions aux Etats-Unis, pour un coût estimé à 1.300 milliards de yens selon l'institut de recherche Tokyo Shoko.
Impossible de survivre à une telle ardoise, à laquelle s'ajoutent de nombreuses plaintes d'automobilistes. Le nom Takata disparaîtra probablement. Shigehisa Takada, héritier de la famille fondatrice qui détient 60% du groupe, devra démissionner.
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