Carlos Ghosn : libération sous caution approuvée, appel du procureur rejeté

L'ancien patron des constructeurs automobiles Nissan et Renault Carlos Ghosn s'est dit mardi "innocent" et "résolument déterminé" à se "défendre vigoureusement", après la confirmation au Japon de sa libération sous caution.

"Je suis infiniment reconnaissant envers ma famille et mes amis qui m'ont soutenu tout au long de cette terrible épreuve", a déclaré M. Ghosn dans un communiqué diffusé par son agence de communication à Paris, alors que des médias au Japon ont indiqué que le tribunal de Tokyo avait rejeté mardi soir l'appel du procureur et confirmé l'approbation de libération sous caution de l'ex-PDG, détenu depuis plus de 100 jours.

"Je tiens également à remercier les associations et les militants des droits de l'homme au Japon et dans le monde entier qui luttent pour le respect de la présomption d'innocence et la garantie d'un procès équitable", a-t-il ajouté.

Son avocat, Junichiro Hironaka, avait préalablement indiqué aux médias que compte tenu des horaires des banques, il n'était pas possible de réunir la somme exigée d'un milliard de yens (8 millions d'euros) mardi soir à Tokyo, et que la procédure après la décision en appel interviendrait mercredi. Il avait aussi jugé qu'une conférence de presse de M. Ghosn après plus de 100 jours passés en prison "serait une bonne chose".

Carlos Ghosn a été inculpé pour minoration d'une partie de ses revenus pour un montant de 9,23 milliards de yens (74 millions d'euros) de 2010 à 2018, dans les rapports de Nissan remis aux autorités boursières. Il a également été mis en examen pour abus de confiance.

 

"Propositions concrètes"

Du fait de l'affaire Ghosn et de son retentissement planétaire, de nombreuses critiques ont plu sur le système judiciaire japonais qui permet de garder à vue un suspect pendant plus de 20 jours, de l'arrêter plusieurs fois puis de le maintenir des mois en détention provisoire après son inculpation dans l'attente de son procès.

Mais pour M. Gohara, "la décision du tribunal n'a pas été influencée par les critiques extérieures, il a juste été forcé d'accepter la requête de mise en liberté au regard des arguments de la défense".

Lors d'une conférence de presse donnée lundi, le principal avocat japonais de M. Ghosn avait expliqué avoir suggéré différents moyens au tribunal pour montrer que les risques étaient faibles si M. Ghosn sortait de prison.

"Par exemple, nous avons proposé de limiter ses communications avec l'extérieur par ordinateur et une surveillance par caméras", a précisé M. Hironaka.

"Ces propositions concrètes ont sans doute fait la différence, il est sûr qu'elles ont été plus convaincantes", convient aussi Yasuyuki Takai, avocat et ex-membre de l'Unité spéciale d'enquête qui a arrêté M. Ghosn.

"La durée déjà passée en détention, plus de 100 jours", a aussi pu jouer, ajoute Takao Nakayama, professeur de droit à l'Université Chuo à Tokyo.

"De plus, le juge est différent, ce n'est pas le même que la première ou la deuxième fois, et cela compte aussi dans la façon de regarder le dossier", ajoute M. Takai, désormais aussi avocat.

Enfin, "ces derniers temps, le tribunal a davantage tendance à accepter les mises en liberté sous caution, même si cela dépend des cas. Je pense que cette décision s'inscrit dans ce contexte", ajoute-t-il.

 

50/50

"Cependant, le tribunal créé aussi un précédent s'il a autorisé cette libération avec des moyens particuliers inédits. Si jamais il ne fait pas de même dans des cas ultérieurs, certains dénonceront un traitement spécial pour Ghosn et le tribunal sera critiqué", souligne M. Takai.

"Bien sûr, les enquêteurs ne veulent absolument pas qu'il soit libéré. Il est donc en effet possible qu'ils fassent tout pour l'arrêter de nouveau", indique M. Gohara.

"Compte tenu du nombre d'informations sur les soupçons portés contre M. Ghosn divulguées par Nissan, la possibilité qu'il soit arrêté est à mon avis de l'ordre de 50%. Connaissant le bureau des procureurs, il est certain qu'ils veulent le réarrêter, pour peu qu'ils aient des éléments à charge".

S'il était de nouveau placé en garde à vue, il faudrait des éléments solides et les critiques redoubleraient, soulignent cependant ces interlocuteurs.

 

Ghosn impatient de pouvoir se défendre

"J'espère que le procureur, qui semble en faire une affaire personnelle, n'ira pas utiliser ce stratagème", a réagi sur la radio française RTL l'avocat français de l'ancien PDG, Jean-Yves Le Borgne. "Les faits de ce dossier sont tels, et je dirais tellement légers en réalité, que la sortie serait normale".

Mécontent du rejet de précédentes demandes de libération sous caution, Carlos Ghosn avait décidé de changer mi-février son équipe de défense japonaise, au moment d'aborder la phase de préparation de son procès, qui n'interviendra pas avant plusieurs mois.

"Je suis impatient de pouvoir me défendre, avec vigueur, et ce choix représente pour moi la première étape d'un processus visant non seulement à rétablir mon innocence, mais aussi à faire la lumière sur les circonstances qui ont conduit à mon injuste détention", avait alors dit Carlos Ghosn.

 

Réaction de Nissan

Celui qui était vénéré au Japon pour avoir sauvé Nissan avait été arrêté le 19 novembre à Tokyo et placé dans le centre de détention de Kosuge, dans le nord de la capitale, prison qu'il devrait quitter dans la journée.

Il avait dénoncé fin janvier, lors d'un entretien accordé à l'AFP, sa détention prolongée, un traitement qui "ne serait normal", selon lui, "dans aucune autre démocratie".

Il estime avoir été victime d'un "complot" ourdi par Nissan pour faire échouer son projet de rapprochement avec Renault.

Nissan, à l'origine de l'enquête qui a conduit M. Ghosn en prison, a rapidement réagi.

"Nissan ne joue aucun rôle dans les décisions prises par les tribunaux ou les procureurs et n'est donc pas en position de commenter", avait dit mardi le groupe dans un message transmis aux médias.

"Les investigations menées en interne chez Nissan ont montré des conduites (de M. Ghosn) manifestement contraires à l'éthique (...) et d'autres faits continuent d'émerger", a ajouté le constructeur, au chevet duquel était arrivé M. Ghosn en 1999.

La libération de Carlos Ghosn "n'a pas de conséquences sur les affaires de Nissan", a assuré l'actuel directeur général du groupe, Hiroto Saikawa.

En théorie, Carlos Ghosn, qui est toujours en titre administrateur de l'entreprise, pourrait assister à un conseil d'administration, mais cette possibilité risque de lui être refusée par le groupe.

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