Depuis mardi, les véhicules avec des vignettes Crit'Air 4 et supérieures, soit les plus vieux moteurs diesel et essence, ne peuvent plus circuler dans la semaine en journée dans cette zone à faible émission (ZFE).
"J'habite à Bobigny, à 15 minutes d'ici, mais je suis obligé de venir avec tous mes outils, donc je ne peux pas prendre les transports en commun", explique M. Khoufache, mécanicien, qui roule au volant d'une voiture portant la vignette Crit'Air 4.
Les mains dans le cambouis, il répare le moteur d'une Renault Clio d'un autre temps. "Des Crit'Air 4, il n'y a que ça ici ! Celle-ci est une Crit'Air 5, son propriétaire n'a pas les moyens de s'acheter une voiture plus récente."
Installé à côté de la cité des 4000, Thierry Khoufache s'occupe des véhicules "des plus démunis", qui font la navette entre Paris et ses alentours, pour aller travailler. Ici, pas de Tesla et autre modèle électrique flambant neuf qu'on a coutume de voir dans la capitale, mais des voitures des années 2000, usées par la vie et les trajets réguliers.
Si l'interdiction de circuler dans la ZFE comporte de nombreuses exceptions (handicapés, véhicules de collection, secours, véhicules utilisés pour les marchés, les déménagements, certains professionnels, etc.), près de 320.000 véhicules portaient au 1er janvier les vignettes Crit'Air 4 ou 5, exposant leurs propriétaires à des amendes de 68 euros.
Au volant de sa Peugeot 307, Farid, chauffeur de poids lourds en intérim, est "dégoûté". "Comment on va faire si on n'a pas l'argent pour changer de voiture? Ils sont en train de massacrer les gens en ce moment", soupire le quinquagénaire.
Manque de solutions alternatives
Au ministère de la Transition écologique, on assure que les ménages peuvent "toucher jusqu'à 12.000 euros d'aides de l'État" pour l'achat d'une voiture électrique, voire "14.000 si la collectivité le souhaite".
Mais ces aides "ne sont pas suffisantes", selon Pierre Chasseray, délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes. Il dénonce une mesure "catastrophique" et "socialement injuste". "Certains parents ne pourront pas emmener leurs enfants à l'école, faire les courses et des gens ne pourront pas aller à leurs rendez-vous à l'hôpital", s'indigne-t-il.
Outre le prix d'un véhicule récent, c'est le manque de solution alternative à la voiture et aux deux-roues qui agace.
"Je mets presque trois heures par jour en transport en commun, et seulement 50 minutes en moto", explique Brigitte Geffros, qui habite à Courbevoie (Hauts-de-Seine) mais travaille à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Si elle laissait sa moto vieillissante au garage, elle devrait "prendre le train, puis le métro, puis le bus et en plus il y a des problèmes de régularité".
La mise en place de ZFE dans les grandes villes a pour but de réduire la pollution de l'air, cause de 40.000 décès par an selon le ministère de la Transition écologique.
Mais cette politique reste méconnue du grand public. Selon une enquête commandée par le Conseil national des professionnels de l'automobile (CNPA), menée en avril par Harris-Interactive, "60% des Français ignorent ce qu'est une ZFE et les conséquences de sa mise en place dans leur mobilité au quotidien".
"L'information n'est pas passée auprès de nos bénéficiaires", confirme Olivier Esclauze, cofondateur du garage solidaire Mobilhub, à La Courneuve. "C'est une réalité un peu dure, je pense que l'impact va être très lourd pour ces gens."
Pour l'heure, le ministère promet une "phase d'information et de sensibilisation" avant de verbaliser les automobilistes au sein de la ZFE, délimitée par l'A86.
En attendant, Thierry Khoufache continue de rafistoler les voitures qui dérivent jusqu'à son atelier, qu'importe leur vignette.
Rappel du contexte
- Crit'Air 4 et 5. Les voitures, deux-roues et utilitaires légers classés Crit'Air 4, Crit'Air 5 ou non classés ne peuvent plus circuler la semaine entre 8H00 et 20H00, hors jours fériés.
L'interdiction, qui était déjà en place dans la capitale, concerne désormais une soixantaine communes situées à l'intérieur de l'A86. Elle est également valable pour les véhicules de location ou ceux immatriculés à l'étranger.
Concrètement, les voitures diesel Euro 1, 2 ou 3, immatriculés avant le 31/12/2005, et les voitures essence immatriculés avant le 31/12/96 ne peuvent pas circuler, soit plus de 320.000 véhicules dans la métropole, selon le cabinet AAAdata. Sont aussi concernés les deux-roues motorisés d'avant juillet 2004.
Pour les poids-lourds, autobus et autocars, cette interdiction est valable tous les jours de 08H00 à 20H00. - Contrôles "pédagogiques". Les véhicules particuliers contrevenants risquent une amende de troisième classe, soit 68 euros, et les poids-lourds, bus et autocars une amende de quatrième classe (135 euros).
Mais les contraventions ne devraient pas pleuvoir dans l'immédiat. "Les collectivités prévoient toutes des phases de contrôles pédagogiques", a indiqué le ministère de la Transition écologique. "Nous sommes dans une phase d'information et de sensibilisation face à ce nouvel objet".
Selon un sondage publié par le Conseil des professions automobiles (CNPA), 60% des Français ignoraient fin mai ce qu'est une Zone à faibles émissions (ZFE).
La vidéo-verbalisation a été "écartée par les collectivités", mais des travaux sont en cours pour "homologuer des radars", a précisé le ministère. - Dépollution urbaine. Le Grand Paris vise avec ces mesures "l'amélioration de la qualité de l'air et la lutte contre la pollution", alors que la source principale d'émissions d'oxydes d'azote à Paris est le trafic routier.
Selon une étude de l'Observatoire régional de santé, la mise en place de la ZFE permettrait notamment d'éviter 80 décès par an en Ile-de-France et de faire baisser les cas d'asthme chez les enfants.
Depuis une quinzaine d'années, plus de 230 ZFE ont éclos à travers l'Europe.
A Bruxelles ou Anvers, il faut s'enregistrer en ligne et payer un forfait si votre véhicule est trop polluant. A Londres, le péage urbain est augmenté d'une pénalité pour les voitures les plus polluantes, pour un total de 27,50 livres par jour (une trentaine d'euros). - Interdiction progressive. Quatre ZFE existent déjà en France (métropole de Lyon, Grenoble-Alpes-Métropole, Ville de Paris et Grand Paris). Sept nouvelles zones sont en train de s'y ajouter, autour d'Aix-Marseille, Nice, Toulon, Toulouse, Montpellier, Strasbourg et Rouen.
D'ici à 2025, le dispositif des ZFE doit également être étendu à toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants, soit 35 nouveaux territoires.
Chaque zone gère son calendrier, sous supervision de l'Etat. Strasbourg prévoit de bannir les véhicules sans vignette et les Crit'Air 5 en janvier 2023, puis d'interdire les véhicules diesel en 2028. Toulouse a reporté la mise en place de la ZFE à fin 2021, et Marseille à 2022. Lyon prévoit de bannir le diesel d'ici à 2026.
Le Grand Paris prévoit d'étendre progressivement les restrictions aux véhicules classés Crit'Air 3 à partir du 1er juillet 2022, et aux Crit'Air 2 en 2024. - Dérogations. L'interdiction de circuler dans le Grand Paris ne s'applique pas aux porteurs d'une carte "mobilité inclusion" comportant la mention "stationnement pour les personnes handicapées", ni aux véhicules de collection, de secours, ou aux véhicules utilisés pour approvisionner les marchés, ou pour des déménagements, des événements culturels ou des tournages.
La métropole prévoit également des dérogations jusqu'en juin 2022 pour les professionnels impactés par la crise sanitaire, sur justificatif. - Primes à la transition. Le gouvernement et les collectivités ont été accusées d'exclure les automobilistes moins fortunés.
"Contraindre 12 millions d'automobilistes à changer de véhicule, en moins de trois ans, nous semble être une aberration", a protesté la fédération des artisans de l'automobile (FNA) dans un communiqué, citant "le prix élevé des véhicules électriques, l'absence d'offre sur le marché de l'occasion ou "la baisse des aides du gouvernement".
La Fédération des motards en colère a manifesté samedi pour demander que tous les deux-roues soient autorisés à circuler.
Le gouvernement comme la métropole du Grand Paris soulignent que de nombreuses aides ont été mises en place, allant pour le moment jusqu'à 19.000 euros pour un véhicule.
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