"On va tout péter": la lutte des GM&S sous les projecteurs de Cannes

Après deux ans d'une lutte tumultueuse portant en germe la colère des "gilets jaunes", les salariés de l'équipementier automobile creusois GM&S ont les honneurs de Cannes avec le documentaire "On va tout péter", présenté jeudi sur la Croisette.

"C'est à la fois excitant et embarrassant. Certains salariés ont été repris. Mais la famille GM&S a été brisée par ce plan social. C'est donc une victoire avec un goût amer", avance le réalisateur britannique Lech Kowalski, connu pour son travail sur des sites industriels et des villes sinistrées.

Une quarantaine d'anciens employés du site de La Souterraine ont prévu de se rendre à Cannes pour la projection dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, un déplacement financé grâce à une cagnotte en ligne.

Sur les 277 salariés, 120 ont été gardés. L'usine s'appelle désormais LSI (La Souterraine Industry) et elle a été reprise en septembre 2017 par le groupe GMD, dont le siège social est à Lyon.

Pour son film, Lech Kowalski a planté ses caméras dans la Creuse dès mai 2017. Il était d'abord venu accompagné de deux salariés de l'équipementier automobile Sodimatex, de Crépy-en-Valois (Oise). En 2010 eux aussi avaient menacé de faire sauter leur usine, fermée entre temps, et le réalisateur préparait alors un film sur leur drame, jalonné de chômage et suicides.

"Mais je me demandais comment faire un film qui donne envie aux gens de se battre", raconte-t-il. L'histoire se répétait. Il change alors de sujet : ce ne sera plus un film sur Sodimatex huit ans plus tard mais sur les GM&S.

Un tournage de sept mois qui lui vaudra en septembre 2017 une interpellation pour "rébellion" suivie d'une garde à vue de 24 heures pour avoir refusé d'arrêter de filmer et de quitter la préfecture de Guéret que les salariés en colère venaient d'envahir. Le parquet abandonnera finalement les poursuites.

 

"On va pas enfiler des perles !"

"Cette sélection, c'est beaucoup de bonheur, beaucoup de fierté... Ça m'a remué les tripes", dit Vincent Labrousse, parmi les 157 salariés licenciés, ancien délégué CGT et l'un des leaders d'une lutte ouvrière qui a fait la une des médias nationaux.

Aujourd'hui, cet ancien automaticien avec 25 ans d'ancienneté chez GM&S fait partie des rares ayant retrouvé un travail. "Sur 157 licenciés, seuls 37 ont retrouvé un CDI. 70 sont sans solution pérenne et 26 sont dans des situations délicates", détaille-t-il, alors que la cellule de reclassement a fermé.

Franck Cariat, 43 ans, fait partie de ceux qui cherchent encore un emploi. D'ici la fin de l'année, il n'aura plus d'indemnités de chômage. "J'ai envoyé 120 lettres de motivations dans la région, je n'ai eu que trois entretiens. J'ai étendu mes recherches jusqu'en Dordogne ou en Charente-Maritime. Mais ça ne donne pas grand-chose".

Bien avant les "gilets jaunes", le combat des GM&S a braqué les projecteurs sur l'abandon des zones rurales. La mobilisation des élus en leur faveur débouchera sur la création du "Plan Creuse" du gouvernement.

Avant Ascoval ou Ford Blanquefort, le ministre de l'économie Bruno Le Maire s'était investi, promettant que "personne ne resterait sur le bord de la route".

"Aujourd'hui, l'usine de La Souterraine tourne à environ 60% de son potentiel", analyse Yann Augras, délégué CGT de LSI, qui accuse le repreneur, et les constructeurs automobiles Renault et PSA, de ne pas avoir tenu leurs promesses.

Lui fera partie du petit groupe qui ira à Cannes.

"Mais on n'y va pas pour enfiler des perles. On veut parler avec des journalistes, de grands acteurs ou d'autres réalisateurs pour qu'on continue à parler de cette lutte".

"Le documentaire, au départ il est pour montrer la lutte des salariés GM&S et du privé. Mais je pense qu'aujourd'hui en France, il y a pleins de salariés qui n'ont pas pu se battre et qui méritaient d'avoir tout ça", dit-il.

sav-pjl/rh/nth

© 2019AFP