Ukraine : les risques d'un blocage de technologies vers la Russie

En limitant l'accès de la Russie aux semi-conducteurs et composants technologiques, essentiels pour ses industries automobile et militaire, les pays occidentaux tentent de renforcer leurs sanctions face à l'agression de l'Ukraine, au risque d'ouvrir davantage le marché russe à la Chine et de prolonger les pénuries mondiales qui affectent le secteur.

Le Japon, patrie de l'industriel Fujitsu, a spécifiquement annoncé vendredi le blocage des exportations vers la Russie des "biens à usage général comme les semi-conducteurs".

L'Union européenne y réfléchit, tandis que les États-Unis ont décidé d'imposer des restrictions à l'utilisation par la Russie de leurs technologies, comprenant les semi-conducteurs, les télécommunications, le chiffrement, les lasers et les capteurs.

Or, les décisions américaines peuvent s'imposer au-delà de leurs frontières car leurs entreprises (Intel, NVidia ou Qualcomm) dominent la chaîne d'approvisionnement de ce secteur. Le leader taïwanais TSMC avait notamment dû s'y plier en 2019, lorsque l'administration Trump avait décidé d'empêcher la firme chinoise Huawei d'utiliser des puces ou logiciels (dont Android) d'origine américaine.

"Bien sûr, la Russie peut renforcer ses liens avec la Chine" pour se passer de ces technologies, mais "pensez à combien cela a été long et difficile pour Huawei", explique à l'AFP Francisco Jeronimo, analyste du cabinet IDC. L'impact sera donc "significatif" pour toutes les entreprises russes qui ne pourront pas faire cette transition rapidement.

Cet expert relève toutefois que "la Russie n'est peut-être pas si dépendante à la technologie américaine que ce que l'on voudrait croire". Son gouvernement avait notamment annoncé il y a plusieurs années un plan pour se passer dès 2025 du système d'exploitation Windows dans l'administration et développer des solutions alternatives pour le grand public.

 

Pénuries

"La Chine fait face exactement aux mêmes défis et doit pousser sa propre technologie", explique M. Jeronimo, qui prévoit que la Russie - qui représente seulement 0,1% des achats mondiaux de puces, selon l'association de l'industrie des semi-conducteurs - devienne un débouché très intéressant pour les fabricants chinois.

Surtout, la Russie détiendrait le pouvoir d'affecter toute la chaîne mondiale de production des semi-conducteurs, si elle répliquait aux sanctions en coupant ses exportations de ressources clés dans la production de ces composants.

Début février, des experts de l'entreprise spécialisée dans les matériaux électroniques Techcet avaient publié un rapport sur la dépendance des États-Unis aux importations russes des gaz néon et C4F6 et du palladium, utilisés pour produire les puces.

"La Russie est une source cruciale de C4F6 que plusieurs fournisseurs américains achètent et purifient pour l'utiliser dans la gravure (...) et dans les processus de lithographie avancés pour la production de puces. Le marché américain consomme environ 8 mégatonnes de C4F6 par an", avançaient ces experts.

La Russie est également de loin le premier fournisseur des États-unis en gaz néon, un sous-produit de la fabrication de l'acier, qui est ensuite purifié en Ukraine et est nécessaire à la gravure ultra fine au laser des circuits électroniques. Enfin, elle fournit un tiers du palladium mondial, un métal utilisé dans la fabrication des capteurs et mémoires informatiques, notamment à destination de l'industrie automobile.

Des ruptures dans l'approvisionnement de ces matériaux pourraient avoir des conséquences sur les producteurs de puces, notamment américains, prévenait Lita Shon-Roy, présidente de Techcet. Si c'était le cas, les pénuries mondiales actuelles, nées pour partie de la crise sanitaire, "se prolongeraient à coup sûr, et les consommateurs en paieraient le prix", prévient M. Jeronimo.

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