Uber : une enquête dévoile les méthodes brutales, voire illégales, de la plateforme

Des journaux révèlent les pratiques de l’entreprise pendant ses années d’expansion. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, lui aurait apporté son aide.

Des milliers de documents internes à Uber ont été adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, menant à l'ouverture d'une enquête d'envergure baptisée les « Uber Files », le soir du dimanche 10 juillet. Ainsi, la plateforme Uber s'est retrouvée plongée dans son passé tumultueux, accusée d'avoir « enfreint la loi » et utilisé des méthodes brutales pour s'imposer malgré les réticences des politiques et des compagnies de taxis.

« Nous n'avons pas justifié et ne cherchons pas d'excuses pour des comportements qui ne sont pas conformes à nos valeurs actuelles en tant qu'entreprise », a indiqué Jill Hazelbaker, vice-présidente chargée des affaires publiques d'Uber, dans un communiqué en ligne. « Nous demandons au public de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir », a-t-elle ajouté.

Le Guardian, un quotidien britannique, a obtenu et partagé avec le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) quelque 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, comprenant des e-mails et messages des dirigeants d'Uber à l'époque, ainsi que des présentations, notes et factures. Plusieurs organisations de presse (dont le Washington PostLe Monde et la BBC) ont publié leurs premiers articles tirés de ces « Uber Files ». Ils mettent en avant certaines pratiques d'Uber pendant ces années d'expansion rapide, mais aussi de confrontation, de Paris à Johannesburg.

« L'entreprise a enfreint la loi, trompé la police et les régulateurs, exploité la violence contre les chauffeurs et fait pression en secret sur les gouvernements dans le monde entier », affirme le Guardian en introduction.

 

« La violence garantit le succès », écrivait l'ancien PDG

Les articles mentionnent notamment des messages de Travis Kalanick, alors patron de la société basée à San Francisco, quand des cadres se sont inquiétés des risques pour les conducteurs qu'Uber encourageait à participer à une manifestation à Paris. « Je pense que ça vaut le coup », leur a répondu le cofondateur. « La violence garantit le succès. »

Selon le Guardian, Uber a adopté des tactiques similaires dans différents pays européens (Belgique, Pays-Bas, Espagne, Italie…), mobilisant les chauffeurs et les incitant à se plaindre à la police quand ils étaient victimes agressions, afin d'utiliser la couverture médiatique pour obtenir des concessions des autorités.

Accusé d'avoir encouragé des pratiques managériales douteuses et brutales, sur fond de sexisme et de harcèlement au travail, Travis Kalanick avait dû abandonner son rôle de directeur général du groupe en juin 2017. Son porte-parole a réfuté dimanche toutes les accusations des journaux, y compris celle d'obstruction de la justice.

D'après les quotidiens, Uber avait mis en place différentes stratégies pour déjouer les tentatives d'intervention des forces de l'ordre, dont celle du « coupe-circuit » (« kill switch ») qui consistait à couper rapidement l'accès d'un bureau du groupe aux principales bases de données informatiques, en cas de perquisition.

 

« Nous sommes carrément hors-la-loi »

Le Guardian cite différents extraits de conversation entre des cadres évoquant l'absence de cadre légal pour leurs activités. « Parfois, nous avons des problèmes parce que, bon, nous sommes carrément hors-la-loi », écrivait ainsi la directrice mondiale de la communication d'Uber, Nairi Hourdajian, à ses collègues en 2014, alors que l'existence de la plateforme était menacée en Thaïlande et en Inde.

Avant de devenir synonyme de la réservation de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), Uber a dû batailler pour se faire accepter. Le groupe a courtisé les consommateurs et conducteurs, et s'est trouvé des alliés au pouvoir, comme Emmanuel Macron, qui aurait discrètement aidé le service quand il était ministre de l'Économie.

Sollicitée par l'Agence France-Presse, la société Uber France a confirmé la tenue de réunions avec Emmanuel Macron : des rencontres qui « relevaient de ses responsabilités en tant que ministre de l'Économie et du Numérique supervisant le secteur des VTC ». L'Élysée a indiqué à l'Agence France-Presse qu'Emmanuel Macron, comme ministre de l'Économie, était « naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises engagées dans la mutation profonde des services advenue au cours des années évoquées, qu'il convenait de faciliter en dénouant certains verrous administratifs ou réglementaires ».

Uber aurait aussi offert des actions de la start-up à des personnalités politiques en Russie et en Allemagne et payé des chercheurs « des centaines de milliers de dollars pour produire des études sur les mérites de son modèle économique », toujours d'après le Guardian.

 

La classe politique unanime

La patronne des députés LFI, Mathilde Panot, a dénoncé sur Twitter un « pillage du pays », Emmanuel Macron ayant été à la fois « conseiller et ministre de François Hollande et lobbyiste pour multinationale états-unienne visant à déréguler durablement le droit du travail ». « Macron en allié inconditionnel de l'ubérisation. Ministre de l'Économie, il travaillait main dans la main avec la société privée Uber », a jugé à son tour la députée LFI Clémentine Autain.

« Il faut faire toute la clarté sur cette affaire. La France ne peut être le terrain de jeu de ces grands groupes privés ! » a affirmé Alexis Corbière (LFI), avant de révéler vouloir réfléchir à une commission d'enquête avec les « amis de la Nupes ».

Le numéro un du PCF, Fabien Roussel, a relayé des « révélations accablantes sur le rôle actif joué par Emmanuel Macron, alors ministre, pour faciliter le développement d'Uber en France », « contre toutes nos règles, tous nos acquis sociaux et contre les droits des travailleurs ». Pour Ian Brossat, porte-parole du PCF, il s'agit « ni plus ni moins d'un pacte qui unit entreprises, ministres et « chercheurs » (en réalité payés par les entreprises) pour broyer notre modèle social, mettre à terre les acquis des travailleurs et américaniser la France ».

Au micro de France Info, Aurélien Taché, député EELV, a qualifié ces révélations de « scandale d'État ».

« C'était de notoriété publique, les Uber Files le démontrent une fois de plus. Malgré le “en même temps” permanent, le parcours d'Emmanuel Macron a une cohérence, un fil rouge : servir des intérêts privés, souvent étrangers, avant les intérêts nationaux », a estimé de son côté Jordan Bardella, le président du Rassemblement national.

Pour Florian Philippot, Emmanuel Macron doit « démissionner », car « il trahit la France, ses entreprises, l'État, la justice, le peuple ». « Uber Files, McKinsey, Alstom… Macron est un agent des intérêts américains ! Il n'a jamais fait autre chose que travailler contre la France et contre les intérêts français ! » a critiqué depuis Twitter le président des Patriotes.

« La question la plus importante, sur le sujet Uber France, est de savoir si oui ou non son implantation en a été une bonne chose socialement et économiquement. Pour le reste, on peine à voir ce qui est répréhensible (intéressant, même) dans l'article du Monde sur Emmanuel Macron », a défendu Cédric O, qui était secrétaire d'État chargé du Numérique lors du premier quinquennat Macron.

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