Tricherie VW: de l'influence des lobbies à Bruxelles

Le scandale des logiciels de trucage anti-pollution et la réponse parfois embarrassée de l'UE a mis en lumière le rôle du lobby de l'industrie automobile au sein des institutions européennes, avec Volkswagen en première ligne pour mener la charge.

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Le scandale des logiciels de trucage anti-pollution et la réponse parfois embarrassée de l'UE a mis en lumière le rôle du lobby de l'industrie automobile au sein des institutions européennes, avec Volkswagen en première ligne pour mener la charge.

En 2008, la crise financière avait révélé l'influence des banques dans les coulisses bruxelloises. Le scandale Volkswagen braque aujourd'hui les projecteurs sur le rôle joué par les constructeurs automobiles dans le processus législatif et réglementaire européen: derrière la finance, ils sont le deuxième lobby le plus important à Bruxelles.

"Peu de joueurs, beaucoup d'argent", résume Pascoe Sabido, chercheur pour le Corporate European Observatory (CEO), un groupe qui mène campagne contre l'accès privilégié des groupes de pression en Europe.

Selon des données rassemblées par le CEO, Volkswagen est le représentant du monde automobile le plus présent à Bruxelles, avec 43 lobbyistes. Par ailleurs, il est membre d'autres structures également bien implantées dans la capitale européenne, comme l'Association européenne des constructeurs automobiles ou l'Association allemande de l'industrie automobile.

"Nous avons quatre personnes pour suivre le dossier automobile", compare Jos Dings, président de l'ONG verte Transport & Environment.

"On doit être sélectif, dans certains groupes nous ne sommes pas présents du tout", reconnaît-il.

Selon Pascoe Sabido, l'industrie dépense 20 millions d'euros pour ses activités de lobbying, dont 50% proviennent de trois constructeurs allemands: Volkswagen, Daimler et Opel.

Alors que la législation se complexifie de plus en plus, les lobbies se sont engouffrés dans la voie de l'expertise, explique le spécialiste.

"La Commission (européenne) est petite en terme de personnel, c'est l'équivalent de la Ville de Paris, elle cherche l'expertise ailleurs. Mais bien sûr, l'expertise n'est jamais neutre", observe-t-il.

Quelque 700 groupes de pression existent à Bruxelles, selon son comptage, composés de 5 à 40 personnes. Ils ont la réputation "d'écrire le brouillon des lois".

Celui qui concerne les voitures est largement dominé par l'industrie automobile, rapporte M. Sebido. On y trouve aussi des ONG, des associations de conducteurs, de consommateurs... "Très obscure" à une époque, leur composition est désormais "plus ouverte".

 

Zone grise

La médiatrice européenne Emily O'Reilly a même ouvert une enquête sur les "groupes d'experts" et doit dévoiler en octobre ses dernières recommandations sur le sujet.

Commission, Parlement, Conseil, tous les niveaux de la galaxie européenne sont susceptibles d'être influencés, souligne de son côté le député européen vert Bas Eickhout.

Pour preuve, des documents rendus publics après le scandale Volkswagen montrant notamment le rôle des diplomates allemands pour assouplir la réglementation environnementale. La France et la Grande-Bretagne auraient aussi pesé en ce sens.

Très remonté, M. Eickhout dénonce également le poids pris par les "comités techniques", qui interviennent pour une traduction scientifique des décisions européennes.

Seuils limites, conception des tests, l'exemple de l'automobile est à ce titre parlant, selon le Néerlandais: les normes Euro 6 et les tests anti-pollution en condition réelle de conduite ont été évoqués pour la première fois en 2007, date à laquelle l'UE a interdit les logiciels de truquage. Pourtant Euro 6 n'a été rendu obligatoire qu'en 2014, et le travail sur les nouveaux tests n'a débuté qu'en 2010, note-t-il.

"Le problème de ces comités techniques c'est l'atmosphère qui y règne. L'industrie automobile se retrouve à la table pour ses connaissances techniques, mais il y a une énorme zone grise: sont-ils à la table pour fournir des informations ou pour participer à la prise de décision ?", s'interroge Bas Eickhout.

"L'information technique et la décision politique sont données en même temps", regrette-t-il.

Dans l'hémicycle des parlementaires, la réflexion commence à poindre.

Les lobbies "sont très puissants, ils font du bon travail, convainquent de nombreux députés", note le chrétien-démocrate allemand Karl-Heinz Florenz, qui appartient au groupe PPE. "Pour être tout-à-fait juste, ils ne mentent pas", nuance-t-il.

"Il est important que les eurodéputés écoutent toutes les parties prenantes: pas seulement l'industrie automobile, mais aussi les ONG, la communité scientifique, etc, pour arriver à une décision équilibrée", plaide-t-il.

© 2015AFP