Sidérurgie : malade chronique malgré l'auto

ArcelorMittal qui rit, Ascométal qui pleure: les signaux sont revenus au vert pour le marché de l'acier, mais la sidérurgie-métallurgie européenne demeure fragile, notamment sa branche française, toujours plombée par des surcapacités, du sous-investissement et sa faiblesse à l'export.

"Notre métier est sale, bruyant, il nous tue à petit feu mais on l'aime", raconte à l'AFP Nicolas Haettinger, 37 ans, opérateur chez Ascométal à Hagondange (Moselle). L'aciérie du site doit fermer, condamnant 101 emplois, en plus de 300 autres postes menacés à l'aciérie Ascoval de Saint-Saulve (Nord), que le suisse Schmolz + Bickenbach n'a pas souhaité reprendre.

En 13 ans d'ancienneté, l'ouvrier est en train de vivre sa troisième reprise d'Ascométal: "Cela fait bien cinq, six ans, voire plus qu'on n'est pas capable de dégager des bénéfices, qu'on ne sort pas la tête de l'eau".

La chute du marché du pétrole de 2014 à 2016 a fait beaucoup de mal à Ascométal, qui s'est alors réorienté vers les aciers spéciaux pour le marché automobile notamment. Avec un certain succès, puisque ses ventes ont remonté la pente, mais pas suffisamment pour redresser à temps sa situation financière.

"Les gars sont sinon déprimés, au moins résignés. On nous dit depuis plusieurs années que l'aciérie va fermer, que l'acier lorrain est fini (...). C'est rentré dans la tête des gens, alors certains se disent +On n'a plus qu'à négocier un chèque+" raconte encore M. Haettinger, chasuble CGT sur le dos. Lui n'a "pas envie de renoncer", mais sa femme l'incite à chercher du travail au Luxembourg, "qui paie bien".

 

"Passe délicate"

L'emploi salarié dans le secteur français de la métallurgie et de la fabrication de produits métalliques a chuté de 17% entre 2008 et 2017, soit près de 80.000 emplois perdus sur la période, selon l'Insee. Dans la partie sidérurgie, les coupes ont été encore plus sévères (-21%).

Confrontée à une brutale chute de la demande mondiale avec la crise à partir de 2008, les capacités de production d'acier ont dû être ajustées partout en Europe. La production d'acier européenne a baissé de 20% par rapport à 2008, tournant actuellement autour de 170 millions de tonnes, selon la fédération Eurofer.

En France, ces ajustements se sont traduits par de retentissantes fermetures d'installations dans le Nord et l'Est, comme l'aciérie de Gandrange puis les hauts-fourneaux de Florange d'ArcelorMittal en Moselle.

ArcelorMittal s'est aujourd'hui redressé, ayant publié la semaine dernière ses meilleurs résultats annuels depuis la crise, et s'est montré confiant pour ses perspectives cette année.

Néanmoins, "le secteur de l'acier reste dans une passe délicate" en Europe, avec des surcapacités de production encore "comprises entre 15% et 17%", a estimé Aditya Mittal, le directeur financier du géant mondial de la sidérurgie et patron de ses activités européennes.

Des consolidations majeures sont déjà à l'oeuvre: ArcelorMittal cherche à racheter l'italien Ilva, tandis que l'allemand ThyssenKrupp et l'indien Tata Steel veulent fusionner leurs activités européennes.

Malgré les mesures anti-dumping adoptées l'an dernier par la Commission européenne pour contrer les importations d'acier à prix cassés, notamment en provenance de Chine, "les importations continuent d'augmenter sur une base annuelle, donc le secteur européen doit être plus compétitif, en matière de qualité comme au niveau des coûts", y compris sur les aciers spéciaux, a insisté Aditya Mittal.

 

Difficile montée en gamme

"Les aciers spéciaux longs étaient le dernier segment de la filière qui n'avait pas connu de restructurations. Il a été un temps tiré par le marché du pétrole", explique Olivier Lluansi, spécialiste industrie chez Ernst and Young, interrogé par l'AFP.

Il y a aujourd'hui de nouveau des débouchés dans le secteur automobile, mais "avec les motorisations électriques il y aura une diminution importante de l'utilisation des aciers spéciaux" à terme, prédit-il.

Par ailleurs, mis à part certaine niches, "il n'y a plus de différence au niveau du savoir-faire technologique avec la Chine", qui a considérablement modernisé ses aciéries ces dernières années, à l'inverse de l'Europe, estime encore M. Lluansi.

Les PME et entreprises de taille intermédiaire françaises dans l'acier souffrent aussi d'un manque d'internationalisation, alors que "l'Allemagne et l'Italie ont bénéficié de leur savoir-faire à l'export", ajoute Khalid Ait-Yahia, économiste chez l'assureur-crédit Coface.

Ces petits et moyens acteurs ont aussi "des difficultés à monter en gamme", faute d'investissements suffisants ces dernières années, et leurs donneurs d'ordre exercent une forte pression sur leurs prix, observe-t-il.

"Il y a de la place sur des segments spéciaux pas assez rentables pour les grands groupes. Quand on est petit, on a beaucoup moins de charges fixes, plus de flexibilité opérationnelle et une capacité à répondre aux demandes de petite série", plaide toutefois le patron d'une PME dans l'acier dans le Grand Est, tenant à garder l'anonymat.

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