Renault / FCA : la "fiction " du "mariage entre égaux"

Fusionner en conservant un rapport d'égal à égal: le "mariage entre égaux" séduit de nombreuses entreprises, à l'instar de Renault et Fiat Chrysler, mais il comporte de lourds risques et rares sont celles qui en sortent indemnes.

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Si les deux groupes parviennent à conclure une telle opération, la nouvelle entité Renault-Fiat Chrysler (FCA) serait détenue à 50% par les actionnaires du constructeur italo-américain et à 50% par ceux de Renault et serait cotée à Paris, New York et Milan. Surtout, l'entreprise se muerait en un géant industriel pesant plus de 30 milliards d'euros en Bourse.

La prudence semble, pourtant, de mise. Car le mariage entre égaux tient de la "fiction", estime François Lévèque, économiste et enseignant aux Mines Paris Tech: "même les entreprises les plus égales sont dissemblables".

Ces disparités de capitalisation boursière, de structure du bilan, de mode de gestion, de compétences ou encore de présence géographique sur un marché "dissimulent toujours un déséquilibre" entre les deux entreprises, analyse quant à lui Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS.

Le géant de la construction Lafarge, plombé par une dette de plus de 9 milliards d'euros, en a fait contre son gré l'expérience en 2013. Après avoir annoncé son "mariage entre égaux" avec un autre poids lourd du secteur, Holcim, le cimentier français cède sous la pression de son partenaire suisse: les termes de l'échange sont réévalués au profit de Holcim qui, détenteur de capitaux propres, rachète Lafarge.

Le mariage entre égaux est, en effet, d'autant plus risqué qu'il existe une compétition directe entre les deux entreprises. Pour avoir des chances de fonctionner, mieux vaut "enlever les frictions" concurrentielles, poursuit François Lévèque.

Cette "règle générale" n'est néanmoins pas infaillible, nuance-t-il. Ainsi, malgré des fiançailles euphoriques en 2017 entre Essilor, leader mondial des verres ophtalmiques, et l'italien Luxottica, numéro un des montures de marques prestigieuses, surgit bientôt un conflit de gouvernance entre l'actionnariat d'Essilor et Leonardo del Vecchio, patriarche à la tête de Luxottica.

 

"Jeu très compliqué"

Le 13 mai, les dirigeants français et italien d'EssilorLuxottica ont conclu un accord pour mettre un terme à leur conflit de gouvernance, mais le recrutement d'un directeur général, censé permettre de dépasser cet épisode, s'annonce difficile.

Ce type de conflit prouve, pour François Lévèque, que "les dirigeants sont des hommes et des femmes comme tout le monde: ils ne prennent pas que des décisions rationnelles".

Le "mariage entre égaux", décision humaine avant tout, est un "jeu très compliqué de susceptibilités à fleur de peau", pas si différent de lorsque l'on tombe amoureux, abonde Elie Cohen.

"Les deux entreprises en ont très envie et décident de ne pas regarder les détails gênants", poursuit le directeur de recherches au CNRS. Selon lui, certaines firmes disent oui par "déni", comptant sur le "mariage entre égaux" pour agir comme un "opérateur magique censé abolir les conflits potentiels d'autres". D'autres, à la santé financière fragile, poussées par la "nécessité", prennent le risque de se laisser rassurer par la formule.

Celle-ci tient, cependant, de l'effet de discours. Elle s'inscrit dans une opération de "communication" servant "à vendre la fusion aux cadres dirigeants, aux salariés ou aux actionnaires", prévient François Lévèque.

C'est ainsi que le constructeur de moyenne gamme américain Chrysler, en perte de vitesse, s'est trouvé pris au piège de la stratégie de rachat masquée du PDG de Daimler, Juergen Schrempp, en 1998.

Deux ans après un mariage en grande pompe, le patron du géant automobile allemand avoue publiquement avoir toujours compté faire de Chrysler une simple filiale. La formule "fusion entre égaux" était "de la diplomatie", explique-t-il dans un entretien accordé au Financial Times. Poursuivi pour avoir dupé les actionnaires pendant la fusion, Juergen Schrempp quitte le navire deux ans avant la fin de son mandat, en 2005.

Stratagème "vieux comme le monde", pour Elie Cohen, le "mariage entre égaux" peut ainsi prendre au dépourvu et se retourner contre l'un de ses initiateurs, aucun rapport de force n'étant définitif.

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