Renault : des difficultés avant même la crise du coronavirus

Le constructeur automobile français Renault, qui doit annoncer vendredi un vaste plan d'économies, souffrait de l'affaiblissement de la marque au losange en Europe et des difficultés du partenariat avec Nissan et Mitsubishi, avant même la crise du coronavirus.

Une montée en gamme ratée

Entre 2009 et 2019, le groupe Renault a gagné plus d'un point de part de marché en Europe. Il pesait 10,5% du marché l'an dernier contre 9,2% dix ans plus tôt. Mais le succès provient uniquement de sa filiale roumaine à bas coûts Dacia qui a plus que doublé ses volumes tandis que la marque au losange perdait du terrain. Chez Renault, on reconnaît que le losange est désormais trop proche de Dacia et a besoin de monter en gamme.

Problème: les derniers modèles statutaires ont été des échecs retentissants. "La berline Talisman ne s'est vendue qu'à 6.800 exemplaires l'an dernier en France, c'est très faible", constate Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'automobile. La carrière de l'Espace a été brisée par des problèmes de qualité et des rappels qui ont affecté son image.

Plus grave, Renault a manqué le virage des SUV, ces voitures aux allures de 4x4 dont le marché a explosé. En témoignent les ventes décevantes du Kadjar par rapport au Peugeot 3008. La marque a longtemps bénéficié de l'engouement pour les monospaces, dont il a été précurseur mais ce segment "qui a longtemps porté Renault s'est éteint de lui-même", explique M. Neuvy.

 

L'échec de la course aux volumes

L'ancien patron Carlos Ghosn avait lancé Renault dans une course aux volumes. Avec ses alliés japonais Nissan et Mitsubishi, il avait atteint en 2017 et 2018 le premier rang mondial et visait 14 millions d'unités en 2022 (dont 5,5 millions pour le groupe Renault).

Mais le marché s'est retourné à partir de 2018, notamment en Chine. Renault a vendu 3,8 millions de véhicules l'an dernier, en dessous des attentes. Résultat: un outil industriel pas assez rentable.

Pour faire tourner ses usines, le groupe a eu tendance à brader ses voitures, nuisant à la fois à ses marges et à son image.

Aujourd'hui, dans un marché saturé, les constructeurs sont "plus dans une logique de gagner de l'argent sur chaque voiture vendue", explique M. Neuvy. PSA (Peugeot, Citroën) a fortement réduit ses coûts et affiche une rentabilité record malgré des volumes inférieurs.

Renault a "beaucoup trop de modèles différents pour des volumes trop faibles", résume Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center Automotive Research (CAR) basé en Allemagne.

 

Une alliance embourbée avec Nissan

Après l'arrestation de M. Ghosn au Japon en novembre 2018 pour malversations présumées, sur dénonciation de Nissan, l'alliance a connu une année de crise, synonyme d'année perdue. Les tensions entre les anciens directeurs généraux Thierry Bolloré et Hiroto Saikawa -finalement tous deux évincés-, ont provoqué des retards dans les prises de décisions.

Mais la crise était installée depuis des années, avec pour conséquences un manque de coopérations et de synergies et des développements de technologies en doublon.

Le partenariat "n'a pas été capable d'augmenter les économies d'échelle" malgré des volumes importants, souligne M. Dudenhöffer, qui se montre pessimiste pour la suite. "Cette alliance est faible (...) Elle ne peut rien imposer à ses membres à la différence des grands groupes intégrés" comme Volkswagen ou Toyota, dont la rentabilité est bien supérieure pour des ventes équivalentes.

Renault, qui possède 43% de Nissan, en a au moins tiré de gros bénéfices durant des années quand le partenaire japonais allait bien. Les difficultés récentes de Nissan ont réduit à néant cette contribution.

 

La possibilité d'un rebond

L'histoire automobile est riche en redressements rapides comme celui que Carlos Ghosn avait réussi chez Nissan au début des années 2000, où celui de PSA qui avait frôlé la faillite en 2014.

Les pertes affichées l'an dernier par Renault, les premières en dix ans, s'expliquent par une opération comptable: un abandon de créance fiscale pour 753 millions d'euros. La marge opérationnelle, plus représentative de la santé du groupe, frôlait encore les 5%.

Le renouvellement des dirigeants chez Renault, comme chez Nissan, peut laisser espérer que le potentiel de l'alliance soit enfin exploité. Le nouveau directeur général du losange, Luca de Meo, qui arrive en juillet a su redynamiser la marque Seat, et semble avoir l'expertise marketing dont Renault a besoin.

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