Michelin, symbole d'une tradition paternaliste passée (+Vidéo)

Fleuron auvergnat et longtemps symbole d'une industrie paternaliste, Michelin a multiplié les plans d'économies en France ces dernières années, réduisant son empreinte industrielle.

Le géant des pneumatiques, qui conteste à Bridgestone le titre de premier manufacturier mondial, avait installé sa première usine en 1889 à Clermont-Ferrand. A l'origine, 52 ouvriers y travaillent à la fabrication de patins de frein pour vélo.

Au cours du XXe siècle, Michelin accompagne le développement des bicyclettes puis des automobiles et devient une des multinationales tricolores les plus connues, avec des pneus d'excellente réputation, des victoires en Formule 1 et en rallye, et de fameux coups de marketing.

Le Bibendum, dessiné à partir d'un empilement de pneus et devenu un des logos les plus connus dans le monde, fête ses cent ans en 1998. Et le Guide Michelin reste une référence pour les gourmets.

Seule entreprise du CAC 40 à conserver son siège hors de la région parisienne, le groupe pèse désormais 24 milliards d'euros de chiffre d'affaires, avec plus de 100 sites et 121.000 salariés dans le monde, dont 21.000 en France.

 

"Humanisme"

Parallèlement à cette croissance, le fondateur Edouard Michelin (1859-1940) se lance dans de grands programmes paternalistes à l'égard de ses ouvriers. La société figure notamment parmi les premières à verser des allocations familiales.

Des écoles, des coopératives et des cités-jardins fleurissent, marquant le tissu urbain de Clermont-Ferrand, où la société emploie jusqu'à 30.000 "Bib". Et les usines se multiplient sur le territoire français, à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), Golbey (Vosges) ou Cholet (Maine-et-Loire).

François Michelin dirige l'entreprise entre 1959 et 1999. A sa mort en 2015, des salariés saluent son "humanisme social". "Son côté paternaliste peut gêner du monde, mais pour moi il a apporté beaucoup aux Auvergnats", souligne alors l'un d'eux.

Du côté des syndicats, on se souvient surtout d'un patriarche conservateur qui n'appréciait guère la négociation, considérant les représentants du personnel comme "le ver dans le fruit".

Le jeune Edouard Michelin succède à son père François en 1999 et provoque l'émoi en annonçant 7.500 suppressions de postes en France, évoquant des problèmes de productivité et une concurrence acharnée.

Le groupe va mal, mais se redresse dans les années 2010. Edouard décède dans un naufrage en 2006, le dernier membre de la famille fondatrice Michel Rollier est remplacé par Jean-Dominique Senard en 2012. Les suppressions de postes continuent.

 

Délocalisations

Le Bibendum se retire progressivement de France pour des questions de coûts, comme de nombreux groupes industriels soumis à la concurrence internationale. Il construit des usines géantes en Pologne, Espagne, Brésil, Chine ou Thaïlande.

"Michelin a énormément investi à l'étranger, notamment en Chine", analyse Pierre-Antoine Donnet, ex-rédacteur en chef de l'AFP et auteur d'une "Saga Michelin" en 2008. "L'une des constantes de l'entreprise est d'être au plus près de ses clients".

Nommé en 2018 à la tête de Michelin, Florent Menegaux a pour mission de réduire les coûts et diversifier les activités du groupe, hors pneumatiques. "Dans nos activités industrielles historiques, nous ne sommes pas au niveau de compétitivité attendue si nous la comparons à celle de nos concurrents", souligne-t-il.

"Le marché a basculé vers les pneus plus bas de gamme", explique Olivier Hanoulle, du cabinet Roland Berger. "La pression sur les prix est importante. Et on peut faire varier 10% du prix en jouant sur la main d'oeuvre".

"Il n'y a pas un acteur dans toute l'industrie qui n'a pas rééquilibré son empreinte vers l'Est. Michelin est l'acteur qui a le moins délocalisé jusqu'à présent", souligne un expert du secteur.

Quand Michelin ferme une usine, à Toul ou à La Roche-sur-Yon, en héritier de son passé social, il s'engage à ne laisser personne sur le carreau en proposant des formations, en revitalisant le site.

"La direction a toujours pris la peine d'éviter les licenciements secs. Il y a une culture de l'entreprise très forte, qui continue aujourd'hui", souligne Pierre-Antoine Donnet.

Mercredi, le groupe a annoncé une nouvelle vague de 2.300 suppressions de postes dans le cadre d'un "plan de compétitivité", avec des mesures d'accompagnement surveillées de près par les syndicats comme par les pouvoirs publics.

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