Michelin: des accords d'entreprise prioritaires sur la loi

Dans un entretien avec l'AFP, le président de Michelin Jean-Dominique Senard souhaite que "l'accord d'entreprise prenne le pas sur la convention collective voire la législation", y compris du temps de travail, pour renforcer la compétitivité des sites français du géant du pneu dans un contexte volatil.

QUESTION: depuis le début de l'année, le marché automobile a connu de nettes embellies aux Etats-Unis et en Europe et un coup de frein brutal en Chine, tandis que le prix du pétrole a baissé. Comment Michelin négocie-t-il ces variations?

J.-D. SENARD: "La plupart des matières premières ont en effet baissé cette année de façon assez significative. L'effet a été positif pour nous, on l'a déjà vu dans les résultats depuis le début de l'année. L'autre effet positif a été la parité dollar-euro, parce que nous sommes encore assez européens et nous exportons beaucoup d'Europe. Côté marchés, les volatilités sont gigantesques, c'est la raison pour laquelle nous sommes obligés de travailler en permanence sur la compétitivité, l'agilité et la flexibilité. Il nous faut aussi disposer des plateformes industrielles bien réparties dans le monde. Lorsque l'économie américaine progresse ainsi, elle porte le groupe, indiscutablement.

En Chine, on voit une petite reprise après une baisse d'activité, mais nous n'avons pas été tellement touchés parce que nous sommes peu exposés au marché de la première monte. En revanche, nous sommes très exposés au marché du remplacement, qui lui croît et va se développer de façon constante et massive. Dans le poids lourd, c'est une autre histoire: nous subissons les conséquences de la baisse de l'activité économique. Mais il y a une dizaine d'années, on nous disait qu'il fallait quitter l'Europe et les Etats-Unis, et heureusement qu'on ne l'a pas fait".

 

Q: votre groupe a pourtant annoncé le mois dernier des fermetures d'usines en Europe?

J.-D. S.: "La présence européenne de Michelin est une conviction fondamentale et je ne changerai pas d'avis, y compris en France. Mais il faut regarder la vérité en face: le marché du poids lourd a considérablement baissé. C'est un marché très contesté, qui connaît une entrée massive de pneumatiques en provenance d'Asie. A un moment donné, il faut gérer vos capacités, surtout dans des usines qui étaient en limite d'obsolescence. Mais les personnes concernées sont totalement prises en charge, on ne les laisse jamais sur le côté. Et je suis toujours attentif à réinvestir des sommes non négligeables dans les pays où l'on fait ces réorganisations".

 

Q: justement, où en est le dialogue social chez Michelin en France? Regardez-vous de près la remise en question des 35 heures, comme chez Smart?

J.-D. S.: "Chacun comprend que la compétitivité doit s'améliorer en permanence. On ne peut pas y échapper. Lors du dialogue social que nous mettons en oeuvre aujourd'hui dans l'entreprise et auquel je tiens énormément, nous n'hésitons pas à anticiper les problèmes en mettant autour de la table l'ensemble des partenaires sociaux au niveau des sites. On peut faire un diagnostic, essayer de comprendre quels sont les objectifs de compétitivité à atteindre pour poursuivre l'activité et ensuite, en commun, prendre les mesures nécessaires. Au bout du compte, on sauve l'usine, comme cela s'est produit à Roanne. Chaque fois qu'on pourra développer dans nos usines françaises ce type de programme bien compris, on facilitera considérablement leur compétitivité.

Je dis qu'il faut inverser la hiérarchie des normes, c'est-à-dire que l'accord d'entreprise prenne le pas sur la convention collective, voire la législation. Le temps de travail doit faire partie de l'accord négocié au plus près des salariés concernés. J'y tiens beaucoup parce que je sais que ça fonctionne. Je plaide beaucoup pour que la législation nous laisse un jour la capacité de signer des accords majoritaires dérogatoires par rapport au code du travail existant, ce qui est une assez bonne façon de le faire évoluer".

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