L'Europe des batteries face au défi des métaux

Réunis dans un ancien bassin minier devenu haut lieu de la culture partagée européenne, les ministres de l'Industrie des 27 planchent mardi dans le nord de la France sur l'approvisionnement futur de l'Europe en lithium, cobalt ou autres métaux critiques essentiels à la transition énergétique.

Au musée du Louvre-Lens, bâti sur un ancien site d'extraction minière, et tout près de Douvrin qui doit accueillir l'une des dizaines de "giga-usines" de batteries prévues sur le vieux continent, les discussions informelles des ministres et commissaires européens portent notamment sur les "vulnérabilités de l'Europe" et les moyens de renforcer son autonomie en nickel, graphite ou cobalt, ainsi qu'en aimants permanents destinés aux éoliennes.

Nécessaires pour stocker et faire circuler l'électricité, ou pour améliorer le rendement des anodes, à l'intérieur des batteries, ces métaux sont critiques pour permettre à l'industrie automobile de supprimer d'ici à 2035 les moteurs à combustion qui réchauffent la planète depuis un siècle.

Or l'Europe n'en produit quasiment pas et doit presque tout importer. "Seuls 2% des métaux dont nous avons besoin pour la transition énergétique sont disponibles sur le continent européen", a dit la ministre française déléguée à l'Industrie, Agnès Pannier-Runacher, hôte de la réunion.

Comme "nous avons une vraie dépendance aux matières fossiles pour les voitures actuellement (...) on ne voudrait pas passer d'une dépendance à une autre", souligne-t-on dans son entourage.

D'ici à 2030, l'Europe vise 25% de la production mondiale de batteries (contre 3% en 2020). L'explosion des besoins sera particulièrement sensible pour le cobalt et le graphite.

Leur consommation devrait plus que doubler en Europe, à respectivement 83.000 et 610.000 tonnes par an, et celle du lithium devrait décupler à 61.000 tonnes, selon un rapport présenté devant les ministres par l'industriel Philippe Varin, dont l'AFP a obtenu copie partielle.

Dans ces trois filières, la Chine domine totalement le marché - première productrice et souvent première consommatrice -, ayant anticipé le tournant électrique de la planète depuis 20 ans en mettant la main sur de nombreux sites d'extraction minière et en multipliant les usines de raffinage, et maintenant de batteries.

 

Diviser le coût par deux

Les ministres européens écouteront notamment les témoignages de trois industriels au cours de tables rondes: le suédois NorthVolt, qui a inauguré fin 2021 la première giga-usine de batteries lithium-ion sur le sol du vieux continent destinée à concurrencer l'américain Tesla; le groupe français Caraester, spécialiste du recyclage d'aimants; l'autrichien Wolfram, qui exploite une ligne de tungstène et présentera les enjeux d'un potentiel extractif européen "responsable" et "durable".

L'approvisionnement est crucial pour les constructeurs automobiles en train de basculer dans l'électrification. Allié à Nissan et Mitsubishi, Renault pense "réduire par deux le coût des batteries d'ici 2030", selon son patron Jean-Dominique Senard.

Au menu des solutions, figurent notamment la constitution de "plateformes" d'importation auxquelles seraient liées des usines de raffinage européennes. L'Europe compte aussi beaucoup sur le recyclage des batteries usagées et l'économie circulaire pour se créer ses propres gisements de métaux et terres rares nécessaires au développement de la filière.

Même si le recyclage ne pourra réellement débuter qu'à la fin de la première génération de batteries, "ceci doit être anticipé dès maintenant", plaide une source industrielle.

Enfin, l'extraction minière elle-même figure au menu des discussions. Sur le lithium, quatre projets de mines existent sur le continent: Cinovec en République tchèque, porté par European Metals, Keliber en Finlande par Keliber Oy, Wolfsberg en Autriche par European Lithium, et enfin un projet en Allemagne, Zinnval, porté par Deutsche Lithium, indique la Commission. Ces quatre projets pourraient couvrir 80% des besoins européens pour les batteries à terme.

"Quand bien même nous lancerions des travaux" pour encourager l'extraction minière en Europe, "ça ne suffirait pas et de très loin à couvrir nos besoins, les enjeux se situent en premier lieu sur les approvisionnements en dehors de l'UE et sur nos capacités de recyclage et de réutilisation des métaux qui entrent sur le territoire européen", a souligné Mme Pannier-Runacher mardi matin.

"Notre objectif est de faire un diagnostic commun de manière chiffrée pour les métaux critiques destinés aux batteries électriques et les aimants permanents pour les éoliennes marines. Et sur cette base-là, de construire une feuille de route pour le conseil compétitivité formel à Bruxelles", a-t-elle ajouté.

 

Un défi multisecteurs

Voici, secteur par secteur, leur utilisation, et les tentatives de substitution en cours pour essayer de diminuer leur consommation, telles qu'expliquées dans le rapport "sécuriser l'approvisionnement de l'industrie en matières premières minérales" présenté aux ministres, et dont l'AFP a obtenu copie partielle.

  1. Eoliennes: Les éoliennes utilisent de l'aluminium, du cuivre, du plomb, du manganèse, du nickel. Elles ont aussi besoin de métaux plus rares, classés comme "critiques" par l'Union européenne comme le niobium, ou des terres rares pour fabriquer les aimants permanents de la turbine, comme le dysprosium (Dy), le neodynium et le praséodyme ajoutés à des alliages de fer, et du bore.
    "Des recherches actives sont actuellement en cours pour concevoir des aimants sans terres rares pour les éoliennes à terre, mais pas sur les parcs offshore où le remplacement reste complexe", souligne le rapport de l'industriel Philippe Varin, présenté aux ministres européens.
    L'Europe est autonome à 58% pour la conception, la fabrication et l'assemblage d'éoliennes (grâce au Danois Vestals et à l'allemand Siemens essentiellement), "sans compter les usines installées par des acteurs non européens comme General Electric en France".
    Plus on remonte la chaîne de valeur, plus la dépendance européenne augmente vis-à-vis de l'Asie. La Chine à elle seule couvre 54% des besoins européens en matières premières pour les éoliennes, contre 1% pour l'UE.
     
  2. Panneaux photovoltaïques: Le principe de base des panneaux solaires repose toujours sur du silicium, auquel on ajoute des alliages de terres rares pour doper les performances, comme le germanium, le gallium, l'indium, le molybdenum, le sélénium, le tellurium.
    L'Europe est quasiment absente des différentes étapes de la chaîne de valeur, dépendant à 70% de la Chine pour l'assemblage, à 90% pour les cellules photovoltaïques, et à 53% pour les matières premières autres que le silicium. "L'arrivée de nouvelles technologies innovantes pourrait contribuer à faire émerger" des acteurs européens, souligne le rapport.
     
  3. Moteurs électriques: Pour sortir du pétrole, les moteurs électriques, comme ceux des éoliennes, ont besoin d'aimants permanents pour convertir l'électricité en force motrice, et donc des alliages de terres rares (dysprosium, neodynium, praséodyme) ajoutés à des alliages de fer et à du bore.
    L'Europe ne fournit que 1% des métaux bruts dont elle a besoin pour cela, alors que la Chine en procure 65% et 55% des métaux raffinés.
     
  4. Batteries électriques: Les batteries Li-ion pour l'automobile utilisées en Europe sont produites à 66% en Chine (13% aux Etats-Unis, 13% dans les autres pays d'Asie et 8% dans le reste du monde). Elles reposent sur des anodes à base de graphite, des cathodes à base d'alliage de nickel, cobalt et manganèse ou aluminium, ainsi que du lithium.
    Pour améliorer les performances (les échanges d'électrons), on ajoute d'autres métaux en très petite quantité comme le titane, le silicium ou le niobium.
    L'énergie qu'une batterie est capable de stocker est directement conditionnée par la quantité de lithium que le matériau contenu dans l'électrode positive (cathode) est capable de contenir et d'échanger.
    Les batteries devraient garder leur composition actuelle en nickel, cobalt, manganèse et lithium au moins jusqu'en 2030-35 étant donné les investissements énormes pour construire des usines. Ensuite, les prochaines générations devraient voir réduire leur teneur en cobalt au profit du nickel.

L'Union européenne qui commence tout juste à lancer ses premières giga-usines de batteries produit seulement 1% des métaux bruts dont elle a besoin, 8% des matériaux raffinés et 9% de ses électrodes.

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