L'État piégé par les soupçons de pollution chez Renault

La chute du cours en Bourse de Renault, accusé d'avoir dépassé des normes antipollution, complique la stratégie de l'Etat, qui avait accru provisoirement en avril sa participation dans la marque au losange et attendait le moment opportun pour revendre ses actions.

La baisse jeudi a été vertigineuse pour le premier constructeur automobile français: sur l'ensemble de la journée, le titre Renault a perdu 10%, avec un pic de 20% en cours de séance.

Vendredi à la mi-journée, l'action reculait encore encore de plus de 3%, faisant retomber la capitalisation boursière du groupe à moins de 22 milliards d'euros. Un coup dur pour l'entreprise... mais aussi pour son premier actionnaire: l'Etat.

"La boîte de Pandore a été ouverte", estime Elie Cohen, économiste au CNRS. "Ca va avoir des conséquences durables pour l'Etat, qui est désormais de nouveau obligé d'attendre des jours meilleurs".

L'Etat français a en effet acquis au mois d'avril 14 millions d'actions Renault, pour un montant d'environ 1,2 milliard d'euros, à un prix d'environ 86 euros par titre, faisant passer sa participation dans le groupe français de 15,01% à 19,74%.

Cette montée au capital était cependant censée n'être que provisoire, le temps d'imposer l'application de la loi "Florange", qui garantit des droits de vote doubles aux actionnaires présents dans les entreprises depuis plus de deux ans.

Mais les fluctuations du cours de Renault en 2015 -dans le sillage de l'affaire Volkswagen- ont poussé l'Agence des participations de l'Etat (APE) à différer la revente des titres, les conditions du marché étant jugées défavorables.

"La chute du cours ne fait évidemment pas les affaires de l'Etat parce que c'est difficile de vendre avec une moins-value, notamment devant l'opinion publique", souligne un courtier d'Aurel BGC.

 

'On va rester très calmes' -

En décembre, le cours du titre Renault avait pourtant fini par retrouver son niveau du mois d'avril. Ce qui aurait permis à Bercy -s'il s'était décidé à vendre- de ne pas perdre d'argent dans l'affaire.

Aurait-il fallu profiter de cette opportunité pour revenir aux 15,01% du mois d'avril? Avec la chute boursière de jeudi, la position de l'Etat se trouve, de fait, fragilisée.

"Le cours de Renault ne va pas remonter de sitôt, car désormais le ver est dans le fruit", estime ainsi Elie Cohen, qui voit dans l'effondrement du titre un "épisode supplémentaire dans la saga des votes doubles".

Incertitude sur le niveau des émissions polluantes, interrogations sur l'origine des dépassements, impact sur les ventes du constructeur... "Il va falloir attendre de voir ce qu'il en est exactement, ça va prendre du temps", ajoute l'économiste.

Interrogé en marge d'un déplacement dans le Finistère, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a indiqué vendredi que l'Etat reviendrait comme promis à 15,01% du capital, mais "quand le titre aura retrouvé son prix normal".

"Notre intention aujourd'hui n'est pas de céder des actions pour que le contribuable perde de l'argent (...) On va rester très calmes et on va le faire posément, au bon moment", a insisté le ministre, assurant n'être personnellemment "pas inquiet".

En avril, la montée de l'Etat au capital avait provoqué des tensions avec Nissan, partenaire japonais de la marque au losange. Avec pour conséquence un bras de fer de huit mois avec le gouvernement français.

Mais en décembre, Bercy est parvenu à signer un accord avec le constructeur nippon, restreignant l'usage des droits de vote doubles aux cas "exceptionnels". Un compromis qui a fait en partie retomber la pression entre les deux partenaires, offrant un répit pour la revente des actions.

"Si l'Etat ne vend pas ses parts en 2016, le risque est qu'il y ait une nouvelle dégradation de la relation avec Nissan", estime-t-on toutefois à Aurel BGC. "C'est l'Etat qui fait les contrôles des émissions polluantes et en même temps il est au capital de Renault. Il est à la fois dans le rôle du gendarme et de l'actionnaire. C'est impossible à réconcilier et c'est ça le problème de fond".

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