Les syndicats dénoncent des délocalisations structurelles

Dans l'Aveyron, l'Yonne ou en Haute-Savoie, leurs usines ferment et les syndicats des salariés de la sous-traitance automobile l'assurent: la transition écologique ou les pénuries dues au Covid ont bon dos, la source de leurs déboires réside surtout dans les délocalisations initiées il y a 15 ans par les constructeurs français.

"On a beau parler de fin des moteurs thermiques ou de manque de semi-conducteurs, c'est une stratégie de rentabilité financière via les délocalisations, entamée depuis bien longtemps, qui aboutit", déclare à l'AFP Nourredine Lakehal, délégué syndical FO de l'usine Mahle de Chavanod, près d'Annecy, qui va fermer.

Les pièces de moteurs thermiques que ce site de 108 salariés produit, notamment pour Peugeot, sont désormais fabriquées en Slovaquie.

"La tendance, c'est le transfert en Europe de l'Est et en Chine. Et c'est méthodique. Des terrains ont été achetés en Slovaquie, on a formé nos collègues slovaques, qui sont payés quatre fois moins que nous, puis des machines sont arrivées là-bas et des volumes ont été transférés. En cinq ans, notre chiffre d'affaires a ainsi baissé de 31 à 14 millions d'euros. Et maintenant, c'est la fermeture", égrène M. Lakehal.

"On n'échappera pas à la transition écologique. Mais au lieu de saisir l'occasion pour relocaliser, c'est exactement le contraire qui se passe chez les sous-traitants", ajoute Valentin Rodriguez, chargé des équipementiers automobiles à FO.

Depuis mi-novembre, outre Mahle, un autre équipementier allemand, Benteler, a annoncé une fermeture d'usine à Migennes (Yonne, 400 salariés). Plus tôt dans l'année, l'Américain BorgWarner avait fermé celle d'Eyrein (Corrèze, 368 salariés) et un plan de suppression de 143 postes est en cours à Blois (Loir-et-Cher).

Bosch va supprimer 750 emplois à Rodez en Aveyron, où la fonderie SAM de Viviers (350 salariés) est en liquidation, lâchée par son client Renault, après les fermetures cette année de MBF Aluminium à Saint-Claude (Jura, 260 salariés) et de la Fonderie du Poitou Fonte à Ingrandes (Vienne, 288 salariés).

Le cabinet Trendeo a décompté au total 2.865 suppressions nettes d'emplois chez les sous-traitants autos en France en 2021.

 

Délocalisations malgré les "milliards reçus"

Les achats sont transférés à l'étranger : Chavanod en Slovaquie, Eyrein en Hongrie, Ingrandes en Turquie, Migennes en Espagne, Viviers en Roumanie...

Les syndicats mettent en cause Renault et Stellantis (ex-PSA), qui ont eux-mêmes initié le processus en délocalisant au milieu des années 2000. "La logique s'étend depuis à l'ensemble de la filière auto", résume Fabien Gâche, ex-délégué syndical central CGT de Renault.

Interrogé par l'AFP, Stellantis explique gérer ses coûts par "une approche mondiale" avec ses "100 usines implantées dans 30 pays". Et met en avant ses investissements pour "relocaliser 40% de la valeur des véhicules électriques avec la fabrication de batteries qui débutera à Douvrin dans moins de deux ans".

Renault insiste aussi sur la transition énergétique, à l'instar de son directeur général Luca de Meo, qui pour la SAM a parlé d'un "problème systémique" lié au "passage à l'électrique".

Pourtant, les pièces pour moteurs thermiques délocalisées hors de France "sont des produits matures, mais pas encore arrivés à expiration. Il y a de la demande pour des années", estime M. Lakehal.

Et à Migennes, la transition énergétique n'est pas en cause, puisque Benteler y produit surtout des châssis et autres éléments de structure.

Pour les syndicats, c'est en délocalisant leurs achats que les constructeurs poussent les gros équipementiers à partir de France et condamnent les fonderies.

Les ouvriers de Migennes sont ainsi suspendus à une éventuelle commande pour les Peugeot 3008 et 5008, explique Abdel Nassour, délégué FO. Si le repreneur pressenti, Mutares, la remportait, cela pourrait éviter la fermeture. Mais rien n'est moins sûr. "Il faut que les constructeurs français reviennent à la raison et achètent en France !", lance-t-il.

D'autant que le bassin d'emploi est "très précaire" et plus de 60 couples travaillent chez Benteler, comme Régis Lemaitre et sa femme. "On nous parle de réindustrialisation pour faire beau, mais nos clients, Stellantis et Renault, qui ont reçu des milliards, continuent à délocaliser", déplore-t-il.

"Aujourd'hui l'Etat est conscient, je crois, du drame qui est en train de se jouer à Migennes, mais a-t-il du pouvoir sur Stellantis ?", demande M. Nassour. "Quand on distribue de l'argent, il faut mettre des conditions. Sinon, l'argent finit dans les poches des actionnaires".

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