Les patrouilleurs, vulnérables "anges gardiens" des autoroutes

"Pas un jour" sans qu'il soit "frôlé ou sente le souffle d'un poids lourd". Sofian Boutagni est patrouilleur, l'un de ces "anges gardiens" qui se mettent en danger au quotidien pour sécuriser les autoroutes, particulièrement pendant les grands départs en vacances.

Sofian, 37 ans, a embrassé ce nouveau métier il y a seulement deux ans, lui l'ancien commerçant se rendant compte avec la crise sanitaire qu'il voulait "faire un travail qui serve les gens".

Sa mémoire regorge pourtant de moments où il a eu peur. Comme il y a deux semaines, sur ces portions des autoroutes A13 et 14 dans les Yvelines qu'il arpente tous les jours.

"Je ramassais des cônes (de signalisation) assis à l'arrière d'un fourgon, conduit par un collègue. Lorsque j'ai vu arriver une Clio, dans une voie pourtant neutralisée. Elle s'est décalée à seulement un mètre de nous" raconte Sofian, 37 ans.

D'autres de ses collègues n'ont pas eu autant de chance que lui : quatre patrouilleurs sont décédés en intervention depuis le début de l'année après avoir été percutés, deux sur autoroutes et deux sur des routes nationales, selon l'Association française des sociétés d'autoroutes (Asfa).

Sur les autoroutes concédées, cinq patrouilleurs ont par ailleurs été blessés en 2022, où l'Asfa recense déjà davantage d'accidents (matériels ou corporels) touchant les personnels intervenants qu'en 2019, dernière année de référence avant la pandémie (64 contre 59), dans un contexte de reprise du trafic.

Corridor de sécurité 

Les concessionnaires d'autoroutes ne cessent d'alerter, via des campagnes de sensibilisation, sur la nécessité de protéger les patrouilleurs, notamment en respectant la règle du corridor de sécurité.

Entrée dans le code de la route en 2018, elle oblige tout conducteur à réduire sa vitesse et à changer de voie ou s'écarter au maximum des personnels intervenant sur le bord d'une route à leur approche, sous peine d'une amende de 135 euros.

Deux tiers des Français ne respectent pas systématiquement cette règle et un conducteur sur cinq ne la connaît pas, selon le baromètre 2022 de la Fondation Vinci Autoroutes.

"Mes deux petits frères qui ont passé le permis il y a six mois n'en ont jamais entendu parler! Même moi je ne l'ai apprise qu'ici", raconte Sofian.

Pour qu'elle soit davantage assimilée, des panneaux sont déployés depuis le début de l'été sur certains axes autoroutiers, sur le modèle de ceux appelant au respect des distances de sécurité il y a quelques années.

Gilet, tee-shirt et pantalon "haute visibilité" jaune et orange fluo, et la nuit en plus un baudrier (gilet) muni d'ampoules LED: l'équipement de Sofian, et les consignes adressées via le panneau à message variable (PMV) installé sur le toit de son fourgon, devraient permettre aux conducteurs de l'éviter.

Téléphone et gaz hilarant 

C'est trop peu le cas, la faute notamment aux distracteurs (téléphone, GPS), dont l'utilisation au volant ne cesse de croître depuis plusieurs années.

"Les mauvaises habitudes prises pendant le télétravail" perdurent, complète Pascal Contremoulins, responsable sécurité routière de la Sanef, l'un des concessionnaires des autoroutes: selon un sondage mené par le groupe en octobre 2021, 73% des télétravailleurs déclarent utiliser leur téléphone en conduisant, et font ainsi de l'habitacle un prolongement de leur bureau.

A bord de sa camionnette surélevée, Sofian a même vu des conducteurs "regarder des films" et d'autres, surtout des jeunes, "prendre du gaz hilarant" (protoxyde d'azote) qui, inhalé, procure une brève euphorie.

"Des chauffeurs de poids-lourds m'ont aussi dit qu'ils conduisaient à l'oreille", soit le bruit produit quand ils empiètent sur la bande d'arrêt d'urgence.

Sofian y ramasse un peu de tout, des animaux morts aux vélos en passant par les machines à laver et, pendant les vacances, "beaucoup de bagages et habits" tombés des voitures pour certaines surchargées.

Ce matin-là, seulement un pneu et un carton, qu'il est allé récupérer sur la voie rapide au pas de course, sans neutralisation de la voie lente.

Il a auparavant demandé, via le PMV, aux véhicules arrivant de se déporter. "Regardez, pas un ne s'est décalé", constate-t-il.

nk/pga/mpm

© 2022AFP