Le poinçonneur aux 6000 pneus condamné

Une enfance de maltraitance sexuelle, et des milliers de pneus comme "exutoires": le tribunal correctionnel de Bordeaux a jugé vendredi un singulier prévenu, "poinçonneur en série" revendiquant les pneus crevés de quelque 6.000 voitures depuis 2011, mû par une colère, diffuse mais obsessionnelle, contre la société.

Une enfance de maltraitance sexuelle, et des milliers de pneus comme "exutoires": le tribunal correctionnel de Bordeaux a jugé vendredi un singulier prévenu, "poinçonneur en série" revendiquant les pneus crevés de quelque 6.000 voitures depuis 2011, mû par une colère, diffuse mais obsessionnelle, contre la société.

Une peine de 18 mois de prison dont 12 ferme, et six mois de sursis assortis d'une mise à l'épreuve de trois ans avec obligation de soins mais sans mandat de dépôt, a été prononcée contre Gilles Sarrailh, solitaire de 45 ans, autonome mais vivant d'une allocation d'adulte handicapé, traité pour épilepsie, qui fut un temps suivi en psychiatrie de jour, et placé sous curatelle.

Près de 1.180 victimes ont été recensées depuis 2014 dans la métropole bordelaise, un préjudice initialement chiffré à 348.000 euros, mais en réalité "des millions d'euros de préjudice pour la société", a souligné l'accusation, rappelant que l'enquête avait pris deux ans et demi, et la surveillance jusqu'à 15 policiers, avant l'interpellation en novembre 2017.

Plus de 200 victimes du "serial poinçonneur" --certains ont vu leur véhicule frappé trois, cinq fois-- s'étaient massées au tribunal, parties civiles réclamant des dommages et intérêts de quelques centaines d'euros, amenant le Palais de justice à ouvrir temporairement une seconde salle avec débats retransmis.

Ils étaient, comme l'a dit à la barre une partie civile, "venus mettre un visage" sur celui qui a défrayé la chronique locale, lors de mystérieuses et sporadiques vagues de crevaisons entre 2014 et fin 2017, et rendu chèvre la Sûreté urbaine. Venus le voir, et essayer de comprendre.

"J'ai été obligé de faire des conneries pour attirer l'attention, pour qu'on m'entende, parce que les mots qui sortaient de ma bouche ne suffisaient pas", a martelé le prévenu, placé en foyer dès la petite enfance, et dès 4 ans en famille d'accueil où il assure avoir subi maltraitance, agression sexuelle et viols pendant dix ans. Sans que les services sociaux ne réagissent. "L'Etat, pendant toutes ces années, n'a rien fait. Les gens n'entendent pas. Des monstres restent en liberté...".

 

"Moralement souillé"

"Il faut avoir la décence de se dire qu'on ne pourra pas véritablement comprendre", a plaidé son avocate Me Emilie Haas, admettant que son client, "moralement souillé depuis la plus tendre enfance", "construit sur du désespoir", "est en boucle" sur "la dénonciation de maltraitance infantile, la sienne et celle des autres". Elle notera que depuis qu'il a effectivement porté plainte et été entendu, en avril, sur les faits de son enfance, il n'a plus récidivé et "se sent pris au sérieux".

L'accusation relèvera pourtant des "ambivalences": la volonté affichée d'attirer l'attention, mais la "stratégie méthodique" du poinçonneur méticuleux et prudent, qui agissait entre 2H00 et 5H00 du matin, avait "sectorisé la ville par quartiers", "déterminé des plans d'action", noté l'emplacement de caméras de video-surveillance à éviter, et "multipliait les précautions". Pas vraiment l'attitude de qui veut se faire prendre...

Deux pneus étaient crevés, côté trottoir (car plus discret) et le poinçonneur, qui évoluait "bien habillé" (manteau noir, cravate), frappait jusqu'à 32 voitures par nuit, poinçonnant parfois dix coups par pneu..."Comme une gestuelle d'exutoire", remarquera le procureur Jean-Louis Rey, observant un individu "enkysté dans un système d'isolement +contre tous+", et n'excluant pas une certaine "jubilation" liée à la nuisance procurée, et médiatisée.

Aux parties civiles venues, selon une avocate, raconter "autant d'histoires derrière un pneu crevé, autant de désagréments, de journées de travail perdues (...), de mises en danger à côté desquelles certaines sont passées" --les pneus finement poinçonnés, ne se dégonflaient parfois que bien plus tard, en pleine conduite-- le poinçonneur ne pourra que répondre: "Je n'y avais pas pensé..."

Malgré "l'altération du discernement" retenue par un expert psychiatre --un autre parlera de "délire du préjudice, de la maltraitance infantile" mais d'une "responsabilité totale"-- M. Rey, arguant d'une récidive en mars 2018, a demandé la détention dès ce vendredi, pour éviter un "encouragement à recommencer". Ce que personne au procès n'a pu garantir.

Le tribunal a suivi le procureur dans les 18 mois dont 12 ferme, mais pas dans le mandat de dépôt. Et l'insondable poinçonneur est ressorti libre.

© 2018AFP