La Formule 1 à la recherche de l'équilibre

Après 110 Grands Prix gagnés par les trois « top teams », le promoteur de la F1 cherche la solution pour revaloriser les figurants de deuxième partie de tableau.

Ils sont trois, à régler leurs comptes entre eux, devant un parterre de figurants à bout de souffle et de moyens. La Formule 1 vit depuis cinq saisons sous le joug de Mercedes, Ferrari et Red Bull, une domination sans partage qui fragilise l'ensemble de son écosystème. Mais elle semble bien partie pour durer, en dépit des efforts des nouveaux propriétaires.

Depuis le succès du Finlandais Kimi Räikkönen sur Lotus au GP d'Australie 2013, les trois «  Top Teams  », comme on les désigne, se sont partagés toutes les victoires, soit 110 courses sans qu'aucune autre écurie ne décroche la timbale. Et depuis deux ans, parmi les sept autres équipes, seuls Williams et Force India ont placé un pilote sur le podium, à chaque fois au GP d'Azerbaïdjan.

Le groupe américain Liberty Media, qui a acquis la discipline début 2017 pour huit milliards de dollars, ne l'entend pas de cette oreille et veut revaloriser un spectacle par trop déséquilibré et aux résultats attendus. Il a dans ses cartons le projet d'attribuer des points non plus aux 10 premiers, mais aux 15 pilotes les mieux classés, voire à l'ensemble du plateau. Jusqu'en 2009 seuls les huit premiers à l'arrivée marquaient des points.

«  Cela ne peut pas être plus à deux vitesses qu'aujourd'hui avec trois "Top Teams" qui mettent plus d'une seconde au tour au quatrième  », explique à l'AFP Fred Vasseur, le patron de Sauber. Cette différence de puissance est maintenant bien ancrée chez les pilotes. Le Danois Kevin Magnussen (Haas) expliquait ainsi récemment qu'il considérait disputer un championnat de Classe B, entre équipes de milieu de tableau.

Au niveau de leur communication, celles-ci s'affrontent ouvertement pour déterminer qui est «  the Best of the Rest  », le meilleur du reste. L'idée d'instaurer un championnat B des «  petites  » écuries avait été évoquée en 2014, par Bernie Ecclestone, ex-grand argentier de la F1.

 

150 millions d'euros par an par écurie

Il serait donc malhonnête de regretter un prétendu âge d'or : les règnes écrasants de McLaren à la fin des années 1980 ou de Ferrari quinze ans plus tard ont par le passé siphonné une partie de l'intérêt.

«  Il y a toujours eu des écuries dominantes, mais on a le sentiment que rien ne va évoluer, et c'est un problème pour attirer de nouveaux fans  », juge le Français Romain Grosjean (Haas).

«  L'écart actuel de résultats n'est pas lié en premier lieu à la performance, souligne Fred Vasseur. «  Au niveau du chrono, les plus petites équipes sont moins loin de la tête qu'il y a 20 ans, sauf que le niveau de fiabilité général était beaucoup moins bon à l'époque et qu'il y avait aussi plus d'accrochages, ce qui leur offrait des opportunités  ».

Sur un autre plan, financier celui-là, les négociations sur une redistribution plus équitable des revenus à partir de 2021 patinent, car personne ne veut renoncer aux primes spéciales, héritées de l'ère Ecclestone.

Aucun nouveau motoriste n'est attendu en raison d'une technologie hybride extrêmement complexe et Liberty Media tente de modifier le statu quo en instaurant une limitation des coûts, avec un budget maximum de 150 millions d'euros par an par écurie.

Dans un contexte où l'industrie automobile voit son paysage bouleversé par les voitures autonomes et la propulsion électrique, débourser un demi-milliard d'euros par saison devient moins justifiable pour Mercedes et Ferrari. Mais ils ont certainement déjà trouvé une astuce : dépenser la même somme sur trois équipes qui se partageront les coûts de développement.

 

Fils à papa

D'un côté, Ferrari s'appuierait encore plus sur Haas et Sauber, de l'autre, Mercedes renforcerait sa collaboration avec Force India et Williams, alors que Red Bull dispose depuis 2006 de son écurie sœur, Toro Rosso. La monoplace Haas de cette saison est déjà qualifiée de «  clone  » de la Ferrari 2018.

Des écuries aux noms prestigieux comme McLaren et Williams sont elles moribondes ? Leur décadence les rend vulnérables et les expose à perdre un pilote du calibre d'Alonso pour le premier cité, lassé par l'absence vertigineuse de résultats.

La pratique commune d'intégrer des pilotes payants se transforme petit à petit en placement de fils à papa milliardaires. Ainsi, soutenu par Mercedes, le Français Esteban Ocon (Force India) risque de perdre sa place car le Canadien Lawrence Stroll, père de Lance, pilote Williams, vient de racheter l'écurie avec d'autres partenaires.

«  On ne voit pas l'intérêt de dépenser des dizaines de millions d'euros pour nos filières si on ne peut pas proposer des opportunités en F1  », prévient Gwen Lagrue, responsable du programme jeunes pilotes de Mercedes.

Force India était aussi convoité par le Russe Dmitry Mazepin, père de Nikita, pilote de réserve de l'écurie. Autre grande fortune canadienne, Michael Latifi, dont le fils Nicholas est également pilote de réserve de Force India, a investi en mai 230 millions d'euros dans McLaren.

À moyen terme, le duel entre Mercedes et Ferrari paraît amené à se renforcer. Renault ne lésine pas sur la dépense, mais a déjà repoussé d'un an son objectif initial de titre en 2020. Et Red Bull, de plus en plus distancé, le sera peut-être encore davantage l'an prochain, en adoptant le moteur Honda, bien moins puissant.

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