Fuite de Carlos Ghosn: premières révélations (+vidéo)

Deux comparses avec deux gros caissons, des ramifications à Dubaï et un mandat d'arrêt japonais contre sa femme: le point sur la situation de Carlos Ghosn, à la veille de sa conférence de presse au Liban où il a fui.

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Train, hôtels et caissons

Des images de vidéosurveillance ont révélé qu'il avait quitté seul le 29 décembre en début d'après-midi sa résidence tokyoïte, où il était assigné dans l'attente de son procès depuis sa libération sous caution fin avril 2019. S'il lui était interdit de quitter le pays, il avait le droit de s'y déplacer librement dans une limite de 72 heures.

Il aurait ensuite retrouvé deux complices présumés dans un hôtel de la capitale. Selon le Wall Street Journal, il s'agirait de Michael Taylor et de George-Antoine Zayek, deux agents de sécurité privés, arrivés le matin même à l'aéroport international du Kansai (ouest) à bord d'un jet privé en provenance de Dubaï, avec deux gros caissons, selon la chaîne de télévision publique japonaise NHK.

Tous les trois ont ensuite pris le train à grande vitesse japonais, le Shinkansen, pour effectuer le trajet Tokyo-Osaka. De là, ils ont rejoint un hôtel près de l'aéroport du Kansai, où les deux complices présumés avaient laissé leurs caissons, toujours selon la NHK.

Quand ils ont quitté cet hôtel avec ces deux gros bagages vers 22H30 pour rejoindre l'aéroport, Carlos Ghosn n'était plus visible à leurs côtés.

 

Faille japonaise et quatrième passeport

Caché dans un des deux caissons sur roulettes, percé de trous discrets pour lui permettre de respirer, l'ancien magnat automobile aurait ainsi échappé aux inspections à l'aéroport, selon les médias.

Car le contrôle aux rayons X des bagages n'était jusqu'à présent pas obligatoire au Japon pour les jets privés. Le gouvernement japonais a corrigé lundi cette faille, a annoncé mardi la ministre de la Justice Masako Mori.

Carlos Ghosn et ses deux complices ayant changé de jet privé à Istanbul au matin du 30 décembre, une enquête a également été ouverte en Turquie. Les autorités locales y ont arrêté cinq personnes après sept interpellations, dont celles de pilotes.

La compagnie turque MNG Jet, qui a porté plainte, a précisé que deux jets privés avaient été loués en décembre à deux clients, mais que le nom de M. Ghosn n'apparaissait nulle part. Les locations auraient été payées par une compagnie de Dubaï, Al-Nitaq Al-Akhdhar General Trading, ont indiqué mardi plusieurs médias.

Les trois passeports de M. Ghosn (un français, un libanais et un brésilien) étaient conservés par ses avocats japonais, pour limiter les risques de fuite. Toutefois une autorisation exceptionnelle du tribunal lui permettait de conserver comme papier d'identité un deuxième passeport français sur lui dans un étui fermé par un code secret, connu de ses seuls avocats.

Il est finalement entré "légalement" au Liban, avec un passeport français et une carte d'identité libanaise, selon une source à la présidence libanaise.

 

Mandats d'arrêts contre lui... et sa femme

Le Liban a reçu début janvier une demande d'arrestation d'Interpol pour le magnat déchu de l'automobile. Cependant le Liban n'a pas d'accord d'extradition avec le Japon et n'extrade pas ses ressortissants nationaux, tout comme la France. Carlos Ghosn a donc très peu de risque d'être renvoyé au Japon s'il demeure au Liban.

Le magnat déchu de l'automobile fait l'objet de quatre inculpations au Japon: deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan, et deux autres pour abus de confiance aggravé.

Le constructeur automobile nippon a déclaré mardi qu'il allait continuer à coopérer avec la justice.

Cependant il n'est pas possible de juger quelqu'un par contumace au Japon, a précisé mardi à l'AFP le ministère nippon de la Justice. Un procès est néanmoins possible visant Nissan et l'ancien bras de Carlos Ghosn, Greg Kelly, poursuivis aux côtés de Carlos Ghosn dans le volet des paiements différés.

Carlos Ghosn a soldé par un accord à l'amiable des risques de poursuites aux Etats-Unis, mais il est aussi visé par des enquêtes en France, sur des soupçons d'"abus de bien sociaux" ainsi que des faits de "corruption".

Des avocats au Liban ont par ailleurs demandé au parquet général d'entamer des poursuites contre lui pour un déplacement en Israël en 2008, pays voisin où les ressortissants libanais n'ont pas le droit de se rendre.

La justice japonaise a également émis mardi un mandat d'arrêt contre sa femme, Carole Ghosn, soupçonnée de faux témoignage quand elle avait été interrogée en avril dernier sur les accusations au Japon pesant contre son mari. Une annonce "pathétique", a réagi une porte-parole du couple Ghosn auprès de l'AFP.

 

Carole Ghosn "au courant de rien"

La femme de Carlos Ghosn a affirmé qu'elle n'était initialement pas au courant de la fuite de son mari, "le seul choix possible", dans un entretien mardi au Parisien à la veille d'une conférence de presse très attendue du magnat déchu de l'automobile au Liban.

Carole Ghosn a assuré au quotidien français qu'"il s'agit d'une vengeance des procureurs japonais" après la fuite de son mari du Japon dans la nuit du 29 au 30 décembre. "Ils l'ont annoncé juste avant la conférence, espérant mettre la pression sur mon mari et me punir une fois de plus. Je trouve ça petit de la part d'une prétendue grande démocratie. J'ai déjà été humiliée au Japon où j'ai été accusée de fuir la justice alors que c'est absolument faux!", s'est indignée Mme Ghosn.

Le Franco-Libano-Brésilien de 65 ans est soupçonné de s'être enfui en prenant un jet privé en compagnie de deux complices présumés et d'avoir évité les contrôles en étant caché dans un caisson de matériel audio, avant d'arriver au Liban dont il détient la nationalité, via la Turquie.Mme Ghosn a assuré n'avoir rien su de cette expédition, mais a estimé que son mari n'avait pas eu d'autre choix.

"Je n'étais au courant de rien (...) J'étais à Beyrouth avec mes enfants pour fêter Noël, quelqu'un m'a appelée pour me dire: j'ai une surprise pour toi. C'était la plus belle de toute ma vie!", a affirmé Carole Ghosn au Parisien.

"Partir était le seul choix possible alors qu'il voyait son procès reporté indéfiniment et qu'il était maintenu dans des conditions de privation de liberté visant à le déshumaniser. Carlos n'entendait pas plaider coupable pour des choses qu'il n'a pas faites", a-t-elle affirmé.

Au sujet de la conférence de mercredi, Mme Ghosn a estimé que son mari allait pouvoir "s'expliquer, faire éclater la vérité" et qu'il était "victime d'un complot industriel et de la guerre entre Renault et Nissan".

Interrogée sur l'état d'esprit de son mari, elle a jugé qu'"il est tendu, c'est normal. C'est la prise de parole la plus importante de toute sa vie!"

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