Constructeurs et start-ups passent aux choses sérieuses

Après avoir beaucoup flirté, les constructeurs automobiles et les start-ups spécialisées dans la mobilité numérique sont en train de passer aux choses sérieuses, nouant des partenariats à plusieurs centaines de millions de dollars, mais aux perspectives encore incertaines.

Toyota et Uber, General Motors et Lyft, Volkswagen et Gett: les accords se multiplient entre les producteurs d'automobiles et des sociétés qui ont construit leur modèle sur l'optimisation de l'usage de ces véhicules, par autopartage, covoiturage et transport de personnes.

Les statistiques sont connues: une automobile passe plus de 95% du temps...immobile, tout en se dépréciant.

"Dès que l'on commence à optimiser une ressource qui nous coûte aussi cher, on a une croissance très très forte", expliquait fin 2015 à l'AFP Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar.

Penser l'automobile comme un service et non comme une industrie révolutionne la compréhension de la valeur du secteur, a théorisé cette semaine Laura Lembke, analyste chez Morgan Stanley, lors d'une conférence à Munich (Allemagne).

Quatre-vingts millions de voitures neuves sont vendues chaque année, soit un chiffre d'affaires mondial de 1.500 milliards de dollars. Mais si l'on raisonne en termes de parc existant (un milliard d'unités) et du coût moyen du voyage sur un mile (1,6 km), soit un dollar, on parvient à un marché de 10.000 milliards, selon elle.

Ce calcul explique la valorisation accordée à des sociétés comme Uber, plateforme numérique de réservation de véhicules avec chauffeur: 62,5 milliards de dollars, soit un tiers de plus que le n°3 mondial du secteur General Motors (GM).

- De la propriété au service -

GM a investi début 2016 un demi-milliard de dollars dans le principal concurrent d'Uber, Lyft; annoncée fin mai, la mise de Volkswagen dans un autre acteur de la mobilité numérique, Gett, atteint 300 millions d'euros. Le même jour, Uber et Toyota ont officialisé un partenariat stratégique.

"D'ici à 2025, nous voulons générer une part substantielle de notre chiffre d'affaires avec des services innovants à la mobilité", a déclaré début juin le patron de VW, Matthias Müller.

Et le groupe français PSA a annoncé début avril qu'il allait consacrer 100 millions d'euros à des investissements dans le capital-risque, en commençant par la start-up d'autopartage Koolicar, reflet de sa volonté de devenir un "fournisseur de services de mobilité de référence".

"Les plateformes sont en train de tenir leurs promesses, leur activité devient significative. Pour les grands groupes automobiles, la question suivante se pose: +avant, notre activité était de vendre des voitures, et comment fait-on maintenant que ça devient du service?+", analyse pour l'AFP Paulin Dementhon, fondateur et dirigeant de Drivy, société française de location de voitures entre particuliers.

Dans une première étape, les constructeurs voient dans ces accords la possibilité "de vendre des véhicules aux flottes" d'autopartage, remarque Jeremy Carlson, expert au sein de la firme IHS.

Les fabricants ont aussi un intérêt à ce que "ces voitures partagées servent de démonstrateur à leurs technologies" comme les hybrides et l'hydrogène, en attendant les voitures autonomes, renchérit Laurent Petizon, du cabinet AlixPartners.

- La voiture restera un "consommable" -

Mais, prévient Sébastien Amichi, spécialiste automobile chez Roland Berger, "tous les contrats que l'on voit en ce moment ne vont pas forcément aboutir tous à des résultats très fructueux", tant il est selon lui "très compliqué de marier ces mondes" aux cultures très différentes.

Alors que l'économie numérique a déjà ébranlé les modèles de nombreux secteurs, les constructeurs automobiles doivent-ils s'inquiéter pour leur pérennité?

Pas de danger dans l'immédiat, estiment ces experts interrogés par l'AFP. "Nous ne prévoyons pas de disparition de sitôt du modèle de propriété, ce sera la majorité au moins jusqu'en 2035", pour M. Carlson.

"Les ventes vont peut-être en pâtir un peu, mais la voiture est aussi un consommable", souligne M. Dementhon. "Il y aura moins de gens qui achètent des voitures mais au bout de deux ans elles auront fait 200.000 km" et devront être remplacées.

Le risque serait de voir "des opérateurs de mobilité qui prennent la relation avec les clients, proposent du temps de conduite et gèrent toute la mobilité multimodale", les firmes automobiles n'étant alors "plus qu'un fournisseur de matériel" comme les fabricants de téléphones portables, estime M. Amichi.

"Il ne faut pas que les constructeurs abandonnent, ils ont aujourd'hui toutes les cartes en main pour devenir eux-mêmes des opérateurs de mobilité", assure-t-il.

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