Affaire Ghosn: le dossier des griefs possibles s'alourdit

Près de trois mois après l'arrestation de Carlos Ghosn, le groupe automobile japonais Nissan continue à mener l'enquête qui a scellé la chute de son ancien patron, toujours sous les verrous à Tokyo. Voici un récapitulatif des 4 principaux points-clés du dossier, des reproches initiaux de Nssan jusqu'aux derniers éléments franco-français concernant le château de Versailles. Seuls les deux premiers font à ce stade l'objet de poursuites.

Lors d'un entretien accordé à l'AFP fin janvier dans un parloir de sa prison, l'ex-dirigeant de 64 ans a dénoncé "une distorsion de la réalité pour détruire (sa) réputation". Depuis, le constructeur français Renault a aussi livré des éléments à la justice.

 

1) Dissimulation de revenus

Carlos Ghosn a été mis en examen au Japon pour avoir minimisé, dans les rapports de Nissan remis aux autorités boursières, une partie de ses revenus: 9,23 milliards de yens (74 millions d'euros) de 2010 à 2018.

Lors de son unique comparution devant le tribunal, le 8 janvier, le magnat déchu de l'automobile a reconnu qu'étaient à l'étude les revenus qu'il percevrait après sa retraite, mais il a assuré "ne jamais avoir signé de contrat avec Nissan pour recevoir un montant fixe non divulgué".

Le constructeur, lui-même inculpé dans cette affaire, a cependant annoncé mardi l'imputation de la somme en question dans ses comptes de l'exercice en cours. Cette décision revient à graver dans le marbre l'existence de ces revenus, affaiblissant la ligne de défense de M. Ghosn.

 

2) Abus de confiance

L'homme d'affaires franco-libano-brésilien a en outre été mis en examen pour avoir tenté de faire couvrir par Nissan "des pertes sur des investissements personnels" au moment de la crise financière d'octobre 2008. La somme incriminée s'élève à 1,85 milliard de yens.

Pour résoudre ce problème financier, il est accusé d'avoir obtenu qu'un milliardaire saoudien, Khaled Juffali, se porte garant. Il l'aurait ultérieurement récompensé par des virements provenant de "la réserve du PDG".

Le groupe "n'a subi aucun préjudice", rétorque M. Ghosn. Quant aux versements effectués à M. Juffali, ils ont été "validés par quatre cadres" de Nissan et correspondent à "d'importants services rendus" à l'entreprise.

 

3) Résidences de luxe, rémunérations "indues", soeur embauchée

Nissan, qui a débuté les investigations à l'été 2018 après le signalement d'un ou plusieurs lanceurs d'alerte, accuse par ailleurs son ancien sauveur d'autres malversations, pour lesquelles il n'est pas poursuivi à ce stade.

Le dossier mentionne l'existence de résidences de luxe à Beyrouth, Rio de Janeiro et Paris, achetées par l'intermédiaire de filiales basées aux Pays-Bas.

Carlos Ghosn a aussi reçu une rémunération "confidentielle" de 7,8 millions d'euros de la part d'une société néerlandaise co-détenue par Nissan et Mitsubishi Motors (NMBV), selon le premier qui entend porter plainte.

Autre soupçon, le versement d'émoluments à une de ses soeurs (755.000 dollars de 2003 à 2016) pour des activités de conseil au sein d'un "Global donation advisory council" qui, d'après Nissan, n'a jamais existé.

Interrogé sur le sujet fin janvier, M. Ghosn a esquivé la question, fustigeant l'attitude de Nissan et son "armée de gens qui ne cessent de (lui) jeter des horreurs à la tête".

 

4) Les fêtes du Château de Versailles

Ces derniers jours, l'enquête s'est tournée vers la France.

Jusqu'à récemment, les vérifications de Renault n'avaient mis en évidence aucun manquement attribuable au bâtisseur du premier empire automobile mondial. Mais la semaine dernière, le groupe au losange a annoncé qu'il allait signaler à la justice que M. Ghosn avait bénéficié à titre personnel d'un avantage en nature d'une valeur de 50.000 euros dans le cadre d'une convention de mécénat avec le Château de Versailles, pour l'organisation de son mariage le 8 octobre 2016.

Il est "prêt" à rembourser cette somme, a réagi son avocat, Jean-Yves Le Borgne.

Les deux groupes s'intéressent également à un autre événement organisé au château de Versailles, le 9 mars 2014, jour du 60e anniversaire de M. Ghosn, d'après une personne au fait des investigations.

Selon le carton d'invitation vu par l'AFP, envoyé via une adresse email appelée "Alliance Versailles", il s'agissait d'un dîner pour célébrer en grande pompe (menu concocté par le chef étoilé Alain Ducasse, tenue de gala, feu d'artifice) les 15 ans de l'Alliance Renault-Nissan, tombant le 27 mars.

La facture de plus de 600.000 euros a été réglée par la société néerlandaise Renault-Nissan BV (RNBV) mais, parmi les 200 invités appelés à "une discrétion totale", figuraient essentiellement des proches de M. Ghosn et de la haute société du Liban. Seulement deux représentants des constructeurs étaient là, assure la même source.

"Il faut se calmer, les imaginations sont en ébullition", a répondu Me Le Borgne.

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