80 km/h : le gouvernement relance un débat passionné

Efficacité en débat, impopularité à surmonter: le gouvernement a relancé un débat lancinant dans l'univers de la sécurité routière en envisageant une baisse de la vitesse maximale à 80 km/h sur certaines routes secondaires.

Les braises couvaient, jamais vraiment éteintes sur cette intarissable sujet de polémiques. Confronté à une hausse ininterrompue de la mortalité routière depuis 2014 (3.477 tués en 2016), que la France n'a plus connue depuis 1972, le gouvernement les a ravivées.

Alors que les autorités redoutent une quatrième année consécutive d'augmentation, Le Point assurait vendredi que "Matignon a tranché" en faveur d'une "baisse généralisée" de 90 km/h à 80 km/h des routes secondaires à double sens -nationales et départementales essentiellement- sans séparateur central.

Lundi, Edouard Philippe a assuré que la décision "sera prise au mois de janvier" après "une concertation avec les associations, les professionnels, les élus". Lui s'y est dit "favorable (...) à titre personnel". La décision sera annoncée lors d'un Comité interministériel de sécurité routière, "probablement le 18" janvier.

L'échéance est posée, et "pro" et "anti" ont repris leur guerre de tranchées à coups de pétitions, communiqués, interventions médiatiques... "Ces derniers mois, on était un peu sorti de ce débat. Là, tout va à nouveau se focaliser là-dessus", soupire, lassé, un membre du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), organe consultatif en matière de sécurité routière.

Le gouvernement précédent s'était bien gardé de prendre parti. Le 14 juin 2014, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve avait coupé court au débat, annonçant quelques minutes avant une séance du CNSR sur le sujet qu'il n'y aurait pas de baisse mais une simple "expérimentation", invoquant un besoin de "pédagogie" et de "pragmatisme".

"Un manque de courage politique", peste la présidente de la Ligue contre la violence routière, Chantal Perrichon, partisane du 80 km/h.

Pour elle, le "80" s'apparente à d'autres mesures "de rupture", comme l'obligation du port de la ceinture de sécurité entrée en vigueur à partir de 1973 et le déploiement des radars lancé en 2003, prises "sans attendre l'acceptabilité dans la population" et qui ont permis une baisse de la mortalité.

 

"Pas de concession"

L'expérimentation, menée a minima sur 81 kilomètres de routes (sur près de 400.000 km de routes nationales et départementales en France), s'est achevée le 1er juillet. A son issue, aucun rapport n'a été rendu public, entretenant le flou et la controverse.

Les seules données disponibles sont les chiffres de la Sécurité routière: en 2016, 2.188 personnes ont été tuées sur les routes hors agglomération (sauf autoroutes), soit 63% de la mortalité routière. "Les routes bidirectionnelles, généralement limitées à 90 km/h, concentrent 87% de la mortalité sur routes hors agglomération (1.911 personnes), soit 55 % de l'ensemble de la mortalité routière", soulignait-elle dans son rapport annuel.

Forts de ce constat, les partisans d'une baisse de la vitesse maximale autorisée affirment qu'elle sauverait au moins 400 vies par an. "Mais cela doit se faire de manière générale, sans concession", prévient Chantal Perrichon.

Cette évaluation s'appuie notamment sur le modèle élaboré dans les années 1980 par le chercheur suédois Göran Nilsson, selon lequel une baisse de la vitesse de 1% engendre une diminution de 4% des accidents mortels.

Un modèle "dépassé", pour l'association 40 millions d'automobilistes qui a lancé une pétition en ligne contre ce projet. "Il suffit de regarder ce qu'il se passe chez nos voisins pour s'en convaincre: les Britanniques roulent à 97 km/h et ont moins d'accidents ; les Allemands à 100 km/h et dénombrent moins de tués sur les routes", affirme son président Daniel Qero.

"La baisse de la vitesse diminue la gravité des accidents même si ça ne diminue pas forcément leur nombre", estime de son côté Anne Lavaud, directrice générale de l'association Prévention routière, soulignant la nécessité "d'une justification pédagogique pour être mieux acceptée et adoptée".

Pédagogie pour certains, propagande pour "toujours plus de répression et de sanction" pour d'autres: selon le délégué général de 40 millions d'automobilistes Pierre Chasseray, "le travail de communication réalisé aujourd'hui par le Premier ministre vise à endormir l'opinion publique avant de faire passer la mesure en force d'ici quelques semaines".

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