30km/h à Paris : "Ça va être encore plus compliqué"

L'éternel ballet des voitures sur la place Saint-Augustin, à Paris, était lundi fidèle à lui même: rapide, nerveux, dense. La presque totalité des rues de la capitale est désormais limitée à 30 km/h. Et certains déplorent déjà une circulation automobile "encore plus compliquée".

Les automobilistes laissent passer les flots de piétons et de cyclistes au feu rouge, puis redémarrent en trombe pour filer vers l'Opéra ou la place de l'Etoile, sans ralentir plus qu'avant sur un boulevard Haussmann désormais limité à 30 km/h.

"On ne le sent pas encore car ça vient d'être mis en pratique", explique Pierre Morizot, qui traverse la place à vélo pour aller travailler. "Les vélos sont de plus en plus présents, les pistes cyclables sont partout, on est très proches des voitures. Le fait de ralentir, ça permettra d'être plus en sécurité", approuve-t-il.

Si la capitale comptait déjà 60% de "zones 30", cette limite s'étend désormais à toute la ville, à l'exception d'une poignée de grands axes comme les Champs-Elysées ou les boulevards des maréchaux, qui restent à 50 km/h, et du boulevard périphérique, où la vitesse maximale autorisée est de 70 km/h.

Objectif premier: "mieux protéger, notamment les plus vulnérables, les piétons, les cyclistes qui aujourd'hui subissent des accidents mortels", a répété à l'AFP David Belliard, l'adjoint EELV à la transformation de l'espace public de la maire PS Anne Hidalgo.

 

Les taxis découragés ?

Mais "rouler à 30 sur les voies de bus, c'est pas facile", regrette Smaïl Chekimi, chauffeur de taxi depuis 28 ans, qui pouvait la veille encore emprunter à 50km/h ces voies fluides réservées aux bus et taxis.

"Ce matin, je suis stressé. Un client était un peu furieux car il faut prendre 5-10 minutes de plus par rapport à d'habitude. (...) Il y a peut-être des taxis qui vont lâcher le métier à cause de ça", déplore-t-il.

David Belliard répond vouloir "trouver des solutions" avec eux.

"C'est vrai que si jamais le taxi roule longtemps, lentement, automatiquement la course va augmenter", a dit lundi sur RTL Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'Economie, chargé des Petites et Moyennes Entreprises, lui même ancien chauffeur taxi.

Les taxis parisiens utilisent le compteur horokilométrique. Ce compteur bascule automatiquement sur le tarif horaire au lieu du tarif kilométrique, lorsque le taxi est à l'arrêt ou en marche lente. "C'est à dire qu'il y a un prix au kilomètre et un prix à l'attente", pour prendre en compte le trafic, a précisé Alain Griset. Ces tarifs sont fixés chaque année par arrêté ministériel.

"On a eu des inquiétudes, des questions, des collègues qui nous appellent", nuance pourtant à l'AFP Mouhssine Berrada, président de l'Union nationale des taxis Paris. "On leur dit que l'on ne peut pas s'avancer maintenant."

D'après les premiers calculs de l'Union nationale des taxis, si la circulation dans la capitale se fluidifie, "il n'y aura pas d'augmentation du tarif de la course, le client ne payera pas plus cher", assure-t-il même.

"Mais si la situation demeure difficile et qu'on met plus de temps à prendre en charge la clientèle, on va demander à l'intersyndicale d'entrer en contact avec la Mairie de Paris", explique M. Berrada.

Il cite également le cas des courses entre les aéroports d'Orly et Roissy et Paris intramuros: les tarifs sont et restent forfaitaires, même si les taxis sont plus lents.

Plusieurs professionnels déplorent une nouvelle contrainte. "On a déjà du mal à avancer avec 50 km/h. Pour travailler, avec 30 km/h ça va être encore plus compliqué", explique au volant de sa camionnette Fabrice Bosc, miroitier qui redoute "encore plus de bouchons".

Selon la municipalité, la mesure vise aussi réduire les nuisances sonores. "C'est vrai qu'il y a trop de bruit. On ne s'entend pas des fois quand on parle", acquiesce Marie Hiz, derrière son comptoir du café "Le carrefour".

Mais "les gens qui livrent, qui travaillent, il faut les laisser", souligne-t-elle. "Imaginez un livreur qui fait le tour de Paris à 30 toute la journée. Déjà en roulant à 60, il n'arrivait jamais à l'heure pour la commande..."

 

Respectés par 65% des Lillois

Selon une consultation menée fin 2020 par la Ville, 59% des Parisiens étaient favorables à la réduction de la vitesse à 30km/h dans les rues de la capitale à la condition que certains axes restent à 50 km/h. Les Franciliens favorables sont en revanche minoritaires (36%).

En France, d'autres grandes villes comme Grenoble, Lille et Nantes ont déjà généralisé les 30 km/h.

A Lille, où la mesure est en vigueur depuis août 2019 pour 88% des rues, "on a vraiment constaté une baisse moyenne importante de la vitesse", affirme Jacques Richir, adjoint à la maire (PS) Martine Aubry en charge de l'espace public et des mobilités.

L'élu s'appuie sur les statistiques générées par ses 20 radars pédagogiques, selon lesquelles "65% des voitures respectent les 30 km/h, environ 20% sont juste au-dessus entre 30 et 40, et 10 à 15% roulent à 50" ou au-delà.

Délaissés pendant la crise sanitaire, la mairie lilloise envisage de reprendre les contrôles à l'aide des radars jumelles, seule arme de répression possible pour sa police municipale qui doit verbaliser immédiatement. Bémol: "en dix minutes, votre contrôle est connu de tout le monde", selon M. Richir.

A Paris, où le sujet n'est pas à l'ordre du jour pour la future police municipale, David Belliard a "demandé à la préfecture de police de renforcer ses contrôles".

Dès ce lundi? L'adjoint écologiste accorde aux véhicules "quelques jours d'adaptation", mais "très vite le contrôle s'effectuera de manière normale", assure-t-il.

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