Expérimentation de circulation entre les files

Le gouvernement lance au 1er février une expérimentation de la circulation entre les files de voitures pour tenter d'encadrer cette pratique très répandue chez les motards, qui la jugent plus sécurisante pour eux, mais peu comprise par les automobilistes.

Réclamée par les associations de conducteurs de deux-roues motorisés et massivement pratiquée dans les centre-villes, sur les périphériques, les routes et autoroutes, la circulation interfiles a nourri des débats aussi vifs que stériles depuis vingt ans.

"C'est un fait social: 98% des conducteurs de deux-roues motorisés le font! Nous voulons sortir d'une hypocrisie qui consiste à ne pas en parler, à ne pas l'enseigner, à ne pas souligner son accidentologie en ville, là où il y a des intersections et des piétons", a souligné vendredi le Délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe, lors d'un point-presse.

"Il y a un voile sur cette pratique qui la rend plus dangereuse qu'elle peut être si elle est pratiquée dans certaines conditions", estime-t-il, en se défendant toutefois de toute "légalisation".

Pendant quatre ans, dans onze départements (Gironde, Rhône, Bouches-du-Rhône et huit départements d'Ile-de-France), la circulation interfiles sera autorisée sur certaines voies rapides quand le trafic sera ralenti.

A savoir, "sur les autoroutes et les routes, dont la vitesse maximale autorisée est supérieure ou égale à 70 km/h, à deux chaussées séparées par un terre-plein central et dotées d'au moins deux voies chacune", précise un décret publié le 26 décembre.

La circulation pourra alors être effectuée "entre deux files de véhicules situées sur les deux voies de circulation les plus à gauche", uniquement "lorsque la circulation s'est, en raison de sa densité, établie en file ininterrompue sur toutes les voies, jusqu'à une vitesse maximale de 50 km/h".

Les slaloms, les "remontées de files" en centre-ville ou la circulation entre les files à 70 km/h restent donc interdits.

Une telle expérimentation avait été recommandée fin 2013 par le Conseil national de sécurité routière (CNSR).

 

Enseignée dans les auto-écoles

"C'est une pratique raisonnée, qui bénéficie à tout le monde", assure à l'AFP le porte-parole de la Fédération française des motards en colère, Nathanaël Gagnaire.

"Contrairement à ce que certains peuvent penser, la circulation interfiles est bien plus +sécure+ pour les motards que quand ils sont intégrés dans les files de circulation où les distances de sécurité sont rarement respectées. Il y a le risque d'être pris en sandwich sur un freinage brusque. Et derrière un fourgon, par exemple, on n'a pas de visibilité", souligne-t-il.

Selon la Sécurité routière, la circulation interfiles n'a été à l'origine que de douze décès (sur 790) de conducteurs de deux-roues motorisés en 2014, mais elle cause de plus en plus d'accidents (+80,7% d'accidents en interfiles en dix ans).

Elle sera désormais évoquée dans les auto-écoles, afin de sensibiliser les automobilistes.

"Sur le périph', il y a des règles tacites mais il faut y être habitué", admet Gilbert, un automobiliste parisien. "L'enseigner? Pourquoi pas, ça peut pas faire de mal."

Selon une étude menée en 2012-2013 par l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement des réseaux (Ifsttar), "68% des automobilistes disaient ressentir des difficultés face à cette pratique, qui génère un sentiment d'insécurité, de stress lié à l'imprévisibilité, l'effet de surprise", explique Isabelle Ragot-Court, chargée de recherche à l'Ifsttar.

"Il y a un intérêt à rendre saillante la possibilité de rencontrer un deux-roues motorisé pour réduire cet effet de surprise et optimiser leur attention", estime-t-elle. "En 2012, 80% des automobilistes étaient favorables à un encadrement", en espérant que cela réduise les accidents mais aussi pour "donner un cadre légal aux responsabilités en cas d'accident".

Un suivi sera réalisé durant quatre ans avant, en fonction des résultats, une possible généralisation à tous les départements en 2020. Mais, prévient le ministère, l'expérimentation "pourra aussi être suspendue à tout moment si les résultats ne s'avéraient pas satisfaisants".

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